Éditorial du no 65
Sortir de l’urbano-centrisme
La notion de « région » porte à confusion. Souvent péjorative dans les grandes villes, elle provoque un sentiment de discrimination si on vit à l’extérieur de celles-ci, où la population est moins dense, où la mer, la forêt, les longues routes, les champs, sont le milieu naturel des habitant·e·s.
Celles et ceux qui ont voyagé au Québec, dans ces « régions », peuvent
témoigner de la grande diversité de leur culture, de leur économie, de leur réalité – de leur histoire en somme. Leurs frontières ne sont pas toujours très nettes et de plus en plus de citoyen·ne·s des grands centres et des régions circulent dans les deux sens... malgré la déficience des transports !
Il est grand temps de déconstruire ces divisions hermétiques. Grand temps de voir que ces régions subissent de plein fouet les contrecoups du modèle économique qui est imposé à l’ensemble de la population québécoise, et qu’elles sont à l’avant-garde de cette lutte qui doit devenir commune et solidaire.
Information centralisée
La concentration des médias dans les grandes villes est une tendance lourde qui renforce le fait que les habitant·e·s de celles-ci connaissent très peu la réalité des régions : on ne présente aux urbain·e·s que la réalité urbaine. Les coupes des conservateurs au budget de Radio-Canada ont eu des conséquences considérables, particulièrement dans les régions plus éloignées : moins de contenu « périphérique » et plus de contenu produit au « centre ». Radio-Canada, mais aussi le réseau Cogeco, diffuse de moins en moins d’émissions animées localement.
Que connaissons-nous de la Gaspésie, de l’Abitibi, du Saguenay-Lac-Saint-Jean et des gens qui y habitent ? Les enjeux qui touchent les « régionaux » sont rarement discutés publiquement si ceux-ci ne concernent pas une région métropolitaine. Il suffit de penser à la lutte contre l’exploitation des hydrocarbures et l’oléoduc que l’on veut faire passer le long du fleuve Saint-Laurent. Est-ce que ce projet aurait été autant médiatisé si l’arrogante TransCanada le faisait seulement passer dans de nombreux villages méconnus de l’arrière-pays ? Un groupe de citoyen·ne·s a bloqué une route sur la Côte-Nord pour dénoncer les compressions budgétaires qui ont pour effet de centraliser les services à la ville de Saguenay ; en avez-vous entendu parler ?
La presse régionale, pour ce qui en reste, est entre les mains de grandes firmes basées à Montréal. Les quelques journaux qui informent de manière critique sur les questions touchant les régions sont rares. Ceux qui existent encore, comme Graffici, sont toujours en sursis et produits à bout de bras par des journalistes et des citoyen·ne·s engagés dans leur milieu. Il est temps de prendre conscience des réalités de nos concitoyen·ne·s qui vivent ailleurs que dans une région métropolitaine.
Lutte aux hydrocarbures
En 2015, plusieurs initiatives citoyennes visaient à lutter contre l’austérité et les politiques pétrolières du gouvernement Harper. L’une des propositions des militant.e.s montréalais.e.s était de partir sac au dos et d’aller camper dans le Bas-du-Fleuve afin de protester contre le projet de pipeline. Cet « appel de l’Est » a été vivement critiqué par les militant·e·s en région qui y voyaient une tentative des grands centres de venir donner une leçon de militantisme aux régionaux « incapables » de s’organiser.
Pourtant, plusieurs exemples démontrent la capacité de nos concitoyen·ne·s de s’organiser, comme c’est le cas de l’initiative « Touche pas à ma région ». L’effacement collectif de ces luttes locales laisse croire qu’être dénommé une « région-ressource » sous-entend l’idée d’une population passive qui peut être exploitée à volonté. Pourtant, la résilience de ces commu-nautés est admirable : elles luttent pour l’ensemble du Québec contre les mesures austéritaires, l’exploitation des hydrocarbures, les enjeux du transport et de développement économique.
Austérité et autorité centralisatrice
Pour plusieurs, l’austérité se résume à des mesures budgétaires qui dégradent les services publics. Or, à l’extérieur des grands centres, ces compressions sont en plus une dépossession des lieux décisionnels décentralisés géographiquement. Pensons seulement à l’abolition des Conférences régionales des élus (CRÉ), où maires et mairesses, préfet·e·s, député·e·s et membres de la société civile d’une région pouvaient se rencontrer afin d’échanger sur les enjeux qui les touchent. L’abolition des CRÉ n’est rien de moins qu’une dépossession politique. La disparition des Centres locaux de développement (CLD) est une autre grande perte. Ces fermetures ont des conséquences désastreuses sur le développement régional et signifient aussi un possible exode de l’expertise locale réunie autour de ces pôles décisionnels.
Ce que l’on nomme « région », c’est la capacité du Québec d’occuper son territoire. En contrepartie, les réformes successives des institutions politiques et administratives québécoises risquent de miner de manière structurelle la démocratie locale, la capacité d’entendre l’ensemble du
Québec et de prendre des décisions éclairées.
Les régions parlent, il est grand temps de les écouter !