Territoire, territoire, dis-moi qui je suis
Peu après les lancements gaspésiens de la revue À Bâbord !, les « forces vives » se sont déchaînées, notamment avec la soirée Territoires organisée au Café Acadien de Bonaventure, pour souligner la St-Jean 2016. Ci-bas, un texte de Philippe Garon, en guise de compte rendu du rassemblement.
Dans le prolongement de son solstice
un pouce nommé Gaspésie
vibre au rythme de cette fête
de toute notre main.
Pendant que dehors
à l’orée de la marina
puis de sa forêt de mâts
les enfants se donnent à leur territoire
en le courant, en le jouant, en le riant,
en dedans, les adultes le disent, le boivent et le mangent.
Le soleil prend le temps de finir sa journée.
Il s’étire et baille d’amples éclats de couleurs
portés par le miroir liquide de la baie en chaleur
miroir en mouvement
dans ses pulsations d’une vie qui ondule en arpèges de varech
nettoie le bois des crues féroces
et lèche le sable piqué de zostère
qui attend sans se presser
nos pas d’apprentis flâneurs.
Frénésie de se retrouver
amis et connaissances
notre mijotée villageoise.
Combien sommes-nous dans les effluves de la cambuse
la bonne humeur bien alignée dans les yeux
à trinquer à la Léonne et au Léa
entre deux bouchées de maquereau fumé ?
À quoi bon énumérer ?
La joie ne se compte pas
autrement que dans la vaisselle qui se brasse
qu’en nous souvenant des lignées de nos appartenances
anciennes ou nouvelles.
Voilà déjà longtemps qu’ici
les femmes sont belles
les hommes, fiers
et se laissent apprivoiser sans se méfier
par ce bout du monde crapuleur
qui mélange les parfums de grand large, de sapin et d’églantier
pour mieux nous ensorceler
en se moquant de nous autres
avec ses dents d’agates de touristes.
Et l’on continue à faire des bébés
qui perpétuent eux-mêmes des traditions
comme celles d’essayer de faire flotter des roches sur la mer
ou d’apprendre leurs chiffres de un à cent
avant de chercher des camarades sacripants
dans la perpétuelle compétition
pour inventer la meilleure cachette de toute l’histoire de l’enfance.
Tout ça se passe dans un brouhaha de crépuscule
qu’aucun micro ne peut taire.
Les mots du traverseur de chemins
à la voix grasse et rassasiante
trouvent quand même le tour
de se frayer une trajectoire
jusqu’à nos tympans
avides de sens.
Sa sagesse prépare la place
crée de la place
en dedans de nous-mêmes
sème du profond
qui pourra germer
quand le silence aura tiré les couvertes
jusqu’à nos oreilles.
Mais nos pieds entendent maintenant les chants de notre quotidien
l’heure de se lever en cadence obéit aux vibrations d’une contrebasse
les éclats de visages et les paumes métronomes
valent mieux
que quelques feux d’artifice de dépanneur.
Plutôt que de brûler de l’argent décevant
sers-moi donc un autre petit verre de rhubarbe en blanc
dans les clameurs du bonheur social
ouvre grandes les portes pour les poursuites de nos progénitures en vacances
gratte les cordes
raconte-moi ta vie
tes projets
du solide, du vrai
en autant que tu me donnes des raisons de penser
qu’on peut encore se gosser
un présent intelligent.
Le territoire souffre de tant de massacres
saccages de son visage aux mille paysages
et pourtant
dans la roue des saisons
il se renouvelle inlassablement
pas tuable.
Son cœur de serpentine pompe dans ses veines souterraines, flatteuses de minéraux, ou en affleurement de sa peau végétale
la limpidité d’innombrables sources rigoleuses
déboulements perpétuels de perles et de diamants liquides
sertis des suites ancestrales
de ces mêmes salmonidés
qui furent la nourriture
des premiers à respirer ici.
Dans le fond
le territoire s’en sacre
de nos sparages d’agités du bocal
de notre sempiternelle amnésie
de notre grand talent à gâcher le pays.
Magnanime
miraculeux
désinvolte
il nous renouvelle sans cesse sa confiance
nous laisse une fois de plus
notre chance.