Fuck toute ! – Quelques flèches tirées du Printemps 2015

No 065 - été 2016

Collectif de débrayage & consorts

Fuck toute ! – Quelques flèches tirées du Printemps 2015

Diane Lamoureux

Fuck toute ! – Quelques flèches tirées du Printemps 2015, Collectif de débrayage & consorts, Montréal, Sabotart, 2016, 145 p.

La grève étudiante de 2012 a donné lieu à une abondante production littéraire. C’est loin d’être le cas pour celle de 2015. À cet égard, le groupe qui avait déjà produit On s’en câlisse ! persiste et signe et nous offre son interprétation du printemps 2015. Le ton est sensiblement différent. Si le premier ouvrage de ce « collectif de débrayage » était encore porté par le souffle long de la grève de 2012, le deuxième ouvrage est plus amer et marqué du sceau des règlements de compte.

Dès le début, on sent une certaine nostalgie du mouvement de 2012, dont celui de 2015 n’est certes pas la seconde occurrence sur le mode de la farce, pour paraphraser l’introduction de Marx au 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Sans doute parce qu’il est encore dans toutes les mémoires militantes et que 2015 ne s’est pas avéré à la hauteur, tant sur le plan de l’ampleur de la participation que de la durée, quoiqu’il ait pu croître sur les braises laissées en plan en 2012 : « [L]e Printemps 2015 était le prolongement direct de 2012. Ce sont deux émergences d’un même plan de consistance : celui du mouvement. » « Les comi­tés P15 ont fait le pari que la camaraderie découlant de 2012, l’habitude politique, un langage commun, des façons de se mouvoir ensemble, resteraient ré-actualisables trois ans plus tard. Ce pari engageait aussi la question du possible, de ce qui ne s’était pas joué jusqu’au bout à la fin du mouvement de 2012. »

Les différences entre les deux mouvements sont posées d’emblée : modes orga­nisationnels et enjeux. Sur le premier plan, si le milieu étudiant a été le terreau militant dans les deux cas, les modes de sa mise en action ont varié. En 2012, ce sont effectivement les associations étudiantes, au premier titre l’ASSÉ, qui ont fourni l’ossature du mouvement. En 2015, ce sont plutôt les collectifs affinitaires Printemps 2015 qui ont été au cœur du mouvement, même si certaines associations étudiantes ont été le lieu de l’élargissement du mouvement, bien que la direc­tion de l’ASSÉ ait appelé très rapidement au « repli stratégique » quand il est devenu évident que le mouvement ne ferait pas tache d’huile dans les syndicats du secteur public.

Quant aux enjeux, la revendication de 2012 était somme toute limitée et immédiatement lisible (refus de la hausse des frais de scolarité préconisée par le gouvernement provincial), même si, au fil de la mobilisation, elle a pu déboucher sur une remise en cause de la logique néolibérale. Celle de 2015 prenait la forme d’un « refus global » à la sauce contemporaine, puisqu’elle s’en prenait à « l’austérité et aux hydrocarbures », ce qui explique son peu de lisibilité pour les médias qui, ne voulant et ne pouvant pas comprendre ce qui était en jeu, l’ont traîné dans la boue. Le collectif y voit plutôt le signe d’un mouvement qui ne visait pas à s’engager dans une dynamique de négociation avec l’ordre établi, mais à assumer une véritable autonomie.

La première partie s’attarde au sens de la grève et la campe dans le camp de la puissance destituante, ce qui s’inscrit dans la logique de À nos amis du collectif invisible et constitue une critique voilée de la puissance instituante qu’appellent de leurs voeux Dardot et Laval dans Commun. Nous avons ensuite droit à une chronique du mouvement gréviste où dominent deux éléments : l’impossibilité du relais vers les syndiqué·e·s du secteur public et l’ampleur de la répression.

Dans les réunions préparatoires du comité printemps 2015, des syndicats étaient invités et leurs représentant·e·s faisaient état du niveau de mobilisation bien réel à la base. Il fallait cependant une certaine naïveté et une méconnaissance du droit de travail pour penser que dès la date d’échéance des conventions collectives, il y aurait une entrée en grève massive dans le secteur public. C’est aussi perdre de vue que si les directions syndicales sont prêtes à rouler des mécaniques pour défendre les fonds de pension, elles sont beaucoup plus frileuses à s’engager dans la lutte poli­tique contre l’austérité et l’autoritarisme néolibéraux. Les infir­mières du CSSS de Laval ou les profs de cégeps qui ont fait une grève illégale de 24 heures le 1er mai en savent malheureusement quelque chose.

L’enjeu politique de rupture était aussi beaucoup plus clair en 2015, ce qui faisait la radicalité de ce mouvement. « Il n’y a pas qu’un seul monde pouvant s’opposer à cet austère nihilisme, mais une pluralité de mondes singuliers hétérogènes et pourtant compossibles. […] Il s’agit alors de renverser la totalisation universaliste au profit d’une fragmentation, dissolution ou division potentiellement infinie, restituant les distances d’intervalle qui restituent la possibilité de la découverte. Opaque est le nid du visi­ble. »

L’autre élément qui frappe en 2015, c’est l’ampleur et la rapi­dité de la répression. Si en février, la plupart des constats d’infraction contestés en cour municipale en vertu du règlement montréalais P-6 ou de l’article 500.1 du Code de la route ont été retirés sans que le règlement municipal soit aboli, on ne peut pas dire que la direction de l’UQAM ait fait preuve de la même prudence. La semaine avant la grève, neuf militant·e·s de 2012 se faisaient signifier des risques de sanctions disciplinaires majeures (allant jusqu’à l’expulsion) ; aupa­ravant, un contrat était passé avec une agence privée de sécurité (ce qui n’est pas sans rappeler l’usage des Pinkerton comme briseurs de grève au début du 20e siècle) de même que l’installation à grande échelle de caméras de surveillance dans les locaux universitaires. « La démesure des moyens investis par l’administration pour y traquer la moindre perturbation ne peut s’expliquer que comme une offensive concertée pour enrayer l’éternel retour de la grève qui hante ses murs », ce que la suite des évènements a amplement confirmé.

Cela a d’ailleurs entraîné un nouveau niveau de brouillage dans les objectifs du mouvement. Alors que les mobilisations, aux yeux des militant·e·s étaient toujours « contre l’austérité et les hydrocarbures », la lutte contre la répression est rapidement passée à l’avant-plan, pouvant donner l’impression que la protection des militant·e·s devenait le premier enjeu de la grève même si « c’est le peuple-politique dans le peuple-universitaire qui semble se révéler dans ce rapport de force entre technocrates serviles et bandes ensauvagées. »

Tout comme leur ouvrage précédent, ce Fuck toute ! relève moins du désenchantement nihiliste que de l’appel à l’action, à la rupture et à l’autonomie de sujet politiques qui se constituent dans la situation d’action que rend possible l’espace-temps de la grève. Le collectif en appelle au développement de la confiance, « matière première de l’accord tacite, qui exige alors d’être construite dans la durée, avec toute la patience et le tact que cela suppose. […] C’est dire que l’organisation de la confiance est une affaire de purs moyens – de construction de l’autonomie. » Une analyse des actions passées pour dégager l’espace des actions à venir.

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