Dossier : Gaspésie - Forces vives

Dossier : Gaspésie - Forces vives

Histoire de pêche

Noémie Bernier

La Gaspésie évoque le poisson et la mer. Les Amérindiens ont exploité cette dernière depuis des millénaires, les Européens depuis au moins 600 ans. Histoire de la pêche, de ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Qu’en reste-t-il ?

« En histoire, on enseigne encore aux jeunes que, d’abord, il y avait les Amérindiens, et qu’ensuite sont arrivés les Français », signale Jean-Marie Thibeault, historien. Les mythes sur l’histoire de la Gaspésie ont la vie dure. Avant Jacques Cartier, les Basques, dès le XVIe siècle, venaient pêcher ici. Ils ont d’ailleurs inventé un produit très recherché à l’époque : la morue salée séchée, une technique qui croise le savoir des Amérindiens et celui des Normands. La Gaspé Cured, qui se conserve bien et qui est riche en protéine, a fait fureur dans les pays européens catholiques. En France, on comptait en effet 180 jours de jeûne par année et au Portugal, ce chiffre s’élevait à 218… Sous le régime anglais, le poisson gaspésien, notamment grâce à la compagnie du Jersiais Charles Robin, était vendu en Europe et même au Brésil, où on écoulait alors la morue de moins bonne qualité.

Un commerce prisé

Une preuve de l’abondance de morues ? Quand le général Wolfe, en 1758, vient en Gaspésie et effectue une razzia des postes de pêche, la perte de morues salées séchées s’élève à 14 375 000 lb avant transformation. Les livres d’histoire sont toutefois trompeurs : « On a toujours dit que la fourrure a été plus importante parce que Québec, Montréal et Trois-Rivières étaient à l’origine des postes de traite de fourrures… C’est là que s’écrit l’histoire du Québec ! », regrette M. Thibeault. Les documents historiques nous révèlent pourtant tout autre chose : dans le fameux Traité de Paris de 1763, le mot « pêche » revient neuf fois alors que le mot « fourrure » ne s’y trouve même pas. Cette activité économique était donc essentielle pour la région, mais aussi pour les puissances qui se disputaient l’Amérique à l’époque.

En 1886, la Gaspésie va vivre sa pire crise économique, reliée au monde des pêcheries. La compagnie Robin, qui embauchait les pêcheurs gaspésiens, prospérait depuis plusieurs années. Elle déposait son argent dans la Jersey Banking Company. Mais en 1886, le gérant de la banque, M. Gosset, a perdu son argent et celui de la compagnie à la Bourse de Naples, entraînant celle-ci et ses filiales à la faillite. Tous les magasins Robin de la région ferment et plusieurs pêcheurs se retrouvent sans travail (4 000 emplois perdus pour une population de 40 000 habitants), frappant ainsi de plein fouet les familles qui, hors saison, dépendaient du crédit de la compagnie…

Qu’en est-il aujourd’hui ? « La particularité de ce qui se passe au Québec, c’est que c’est le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation qui finance les bateaux de pêche. Par contre, la gestion de la pêche se fait par Ottawa. Et ça ne va pas bien depuis que c’est comme ça », nous apprend le pêcheur de Rivière-au-Renard Réginald Cotton.

Au XXe siècle, un mouvement coopératif, Pêcheurs-Unis du Québec, possède toutes les usines en Gaspésie. La coopérative fait faillite dans les années 1970 et, malgré plusieurs tentatives, n’arrive pas à se remettre sur pied. M. Cotton le déplore : « Si tu veux avoir du poids politique, si tu représentes 1 000 personnes puis que tu parles d’une voix, c’est extraordinaire. Or, ici, t’as une flottille de crevettiers, une flottille de morutiers ; t’as une flottille d’engins fixes, d’engins mobiles ; chacun prêche pour sa paroisse puis chacun tire sur la couverte… Quand tu arrives au gouvernement, les réponses ne viennent pas et ils font passer ce qu’ils veulent. La bonne vieille formule : diviser pour régner.  »

L’or bleu

La pêche en Gaspésie s’est d’ailleurs diversifiée : la crevette, le crabe, le homard, et maintenant le concombre de mer et les algues. De plus en plus, les marchés de la pêche exigent que les milieux naturels soient protégés. De là est né Merinov (2010), une organisation de recherche, de développement et de transfert technologique particulièrement vivante en Gaspésie dans les domaines des pêches, de l’aquaculture, de la transformation et de la valorisation des produits marins. Les pêcheurs gaspésiens aussi sont sensibles à la nécessité d’élaborer des techniques de développement durable. M. Cotton, par exemple, vante les Flexigrid et dénonce les conséquences possibles de l’exploitation des hydrocarbures : « S’il arrive une catastrophe, savez-vous ça, Old Harry, une semaine après, c’est rendu dans le Saguenay ? Le golfe du Saint-Laurent c’est une baignoire ! Tout le monde va être touché. Les homardiers, les pétoncliers, les crevettiers, les crabiers… Le premier moratoire touchait juste les pêcheurs de morue et le gouvernement canadien a dépensé 3 milliards et demi, pendant trois, quatre ans. Imaginez combien ça pourrait leur coûter pour un déversement de pétrole dans le Saint-Laurent… »

La pêche, malgré ses hauts et ses bas à travers l’histoire, reste un secteur économique névralgique pour la Gaspésie. Les voies d’avenir à privilégier ? Une pêche efficiente économiquement et des technologies qui vont permettre d’utiliser la « biomasse » marine à son plein potentiel et de manière durable.

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