Présentation du dossier du no 65
La Gaspésie, un enjeu collectif
C’est beau, la Gaspésie. Je le sais : j’y étais cet automne, avec deux camarades de la revue qui y ont des racines, Noémie Bernier et Gérald McKenzie.
C’est grand aussi, la Gaspésie, très grand. Si grand en fait que je ne saurais vous dire avec certitude où cela commence, ni à vrai dire combien il y a de Gaspésies. Mais ce n’est pas grave. Des Gaspésiennes et des Gaspésiens vous le diront. Ou du moins en discuteront devant et avec vous.
C’est dans cet état d’esprit, pour écouter, que mes camarades et moi sommes allés en Gaspésie, pour aller à la rencontre de gens qui nous raconteraient leur coin de pays. Nous souhaitions leur ouvrir les pages de notre revue, comme on donne les clés de l’appartement à des ami.e.s.
Nous n’avons pas été déçus. Nous avons parlé à un grand nombre de personnes et, dans les pages qui suivent, Gérald et Noémie ont réuni une part (une simple part, puisqu’il était impossible de tout couvrir : comme je vous l’ai dit, c’est trop vaste !) de ce qu’ils et elles avaient à dire et à raconter, à nous et à toutes les personnes (elles sont nombreuses, à n’en pas douter) désireuses de l’entendre. Femmes, Mi’gmaqs, anglophones, acteurs de l’action communautaire, pêcheurs, travailleurs culturels et bien d’autres prennent donc ici la parole.
Ce que je retiens pour ma part de ces rencontres et de ces textes, c’est notamment l’impact qu’ont là-bas les politiques d’austérité ; le désolant signal envoyé par la disparition des organismes de concertation régionale (CLD et CRÉ), avec toutes ses déplorables conséquences ; c’est encore la perceptible passion de tant de gens nous parlant des torts faits à leur région par des décisions politiques affairistes, trop souvent à très courte vue et peu soucieuses de l’environnement, mais tout cela animé par un contagieux amour pour leur Gaspésie, qui entretient l’espoir de changement.
Je retiens encore le mot de cette mairesse me disant qu’à son avis la réforme de l’éducation des années 1960 ne s’est pas achevée en Gaspésie et qu’il aurait fallu pour cela qu’on y implante une Université du Québec. Et aussi cette découverte que je fis de l’importance, réellement impossible à minorer, qu’y prend l’existence d’un cégep, tant sur le plan culturel qu’économique.
Je retiens aussi ce sentiment, que décrit bien Gilles Gagné ci-après quand il souligne que la Gaspésie, pour nos dirigeant·e·s, ce n’est pas seulement loin dans l’espace, mais aussi loin en distance mentale – et qu’elle est pour cela plus isolée qu’éloignée, comme le dit de son côté Gaétan Lelièvre.
En lisant le beau dossier qu’ont concocté Gérald et Noémie, je retrouve donc tout cela, et bien plus encore. Et je suis particulièrement touché par le propos de Jean-Marie Thibeault.
M. Thibeault est historien, un métier qui, comme chacun, sait, rend particulièrement apte à discerner l’avenir. Écoutez-le nous parler de demain, après avoir rappelé le passé de cette région de ressources qu’on allait inlassablement y chercher, voire y piller. « Il nous reste, dit-il, la matière grise, et ça aussi on vient la chercher… Il faut changer ce paradigme. Il faut transformer nos ressources ici. Aujourd’hui, on est dans la société du savoir, et le savoir c’est une arme de construction massive. C’est en misant sur l’éducation qu’on va pouvoir développer une région comme la nôtre. Il faut changer la façon de faire, il faut penser l’occupation du territoire. La Gaspésie est au Québec, il faut donc que les Québécois s’en occupent. »
C’est là une invitation à laquelle notre revue souscrit de tout cœur.