Éditorial du numéro 77
La politique s’invite au Parlement
Avec des dizaines de milliers de personnes dans la rue, le 10 novembre dernier, la planète s’est invitée au Parlement. L’absence totale de vision écologique de la part de la Coalition avenir Québec (CAQ) et les projets « climatocidaires » comme le troisième lien entre Québec et Lévis ont donné plus de force à cette initiative citoyenne commencée pendant la campagne électorale, alors que, mis à part QS, aucun parti ne s’intéressait à l’urgence de sauver la Terre de nous-mêmes.
Depuis l’élection du gouvernement Charest, en 2003, et de son projet de « réingénierie » de l’État, nous sommes sortis par centaines de milliers pour nous opposer au manifeste des Lucides, pour bloquer les PPP, le projet Rabaska, le projet de centrale thermique du Suroît, la privatisation du Mont-Orford, le casino à Pointe-Saint-Charles, l’exploitation de l’uranium à Sept-Îles, la hausse des droits de scolarité, le pipeline Énergie Est, etc. De la même manière, il faudra bloquer ce gouvernement caquiste qui ajoute à l’affairisme libéral un conservatisme identitaire.
Signe révélateur, la première mesure annoncée par la CAQ, moins de 48 heures après son élection, a été de présenter une « véritable loi sur la laïcité », interdisant le port de signes religieux au personnel de l’État « en position d’autorité ». En opposition directe avec le principe de laïcité et en contradiction avec les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés, ce projet de loi a été dénoncé, notamment pendant la Grande manifestation contre le racisme, quatre jours plus tard, à Montréal.
Mis à part les mouvements sociaux, les médias autant que les partis politiques normalisent cette rhétorique qui s’en prend aux immigrant·e·s et aux minorités culturelles (en premier lieu aux femmes musulmanes). Ne pouvant compter sur le Parlement, la lutte politique contre l’institutionnalisation de ce racisme ordinaire devra se faire à travers l’activisme.
Par ailleurs, il faudra poursuivre la lutte contre la privatisation des services publics entamée par les libéraux et les péquistes de Lucien Bouchard. Ce n’est certainement pas ce gouvernement de « gens d’affaires », qui promet de « remettre de l’argent dans les poches des Québécois » au moyen de baisses d’impôts, qui inversera la tendance néolibérale au sous-investissement justifiant le recours au privé pour pallier les incapacités préfabriquées du secteur public.
L’éducation, cheval de bataille de la CAQ, risque quant à elle d’être le secteur le plus affecté. Malgré les nombreuses promesses faites en campagne électorale (maternelle 4 ans, valorisation des enseignant·e·s, construction de nouvelles écoles, etc.), celles-ci sont censées se réaliser avec un budget moins élevé que sous les libéraux et avec une perte de 700 M$ du fait de la réduction de la taxe scolaire. De plus, un projet irréaliste comme la maternelle 4 ans n’empêchera pas le maintien d’incitatifs fiscaux favorisant les garderies privées au détriment des CPE, reconnus pour la qualité de leurs services éducatifs. Les mouvements de parents et de citoyen·ne·s comme l’École Ensemble, Debout pour l’école ! ou Je protège mon école publique devront poursuivre leurs luttes, aux côtés des syndicats.
L’enseignement supérieur passera aussi dans le tordeur économiciste. Ce secteur va sans doute devoir continuer à s’adapter aux « besoins des entreprises », comme l’ont contraint les libéraux et comme le prévoit le programme de la CAQ. La vision caquiste de l’enseignement supérieur veut également subordonner la recherche aux besoins des entreprises innovantes et l’enseignement aux dictats d’un marché mondial des diplômes, quitte à créer un système éducatif à deux vitesses. Des initiatives comme les États généraux de l’enseignement supérieur ou la Table des partenaires universitaires devront redoubler d’ardeur dans la lutte pour une éducation libre, gratuite et de qualité.
Comme ailleurs dans le monde, le populisme de droite sévit ici aussi. Certes, la rhétorique du « gros bon sens » sur lequel se base la CAQ est loin de les entraîner dans des discours climatosceptiques ou ouvertement racistes, comme chez les populistes d’outre-mer ou des États-Unis. La lutte pour la défense de droits fondamentaux n’en est pas moins urgente, car la normalisation de la marchandisation du monde ou du repli identitaire ne sera que plus difficile à combattre si elle continue de s’implanter.