International
Grève dans les prisons américaines
Pour l’abolition de l’esclavage carcéral
Les prisons américaines, de la Californie à New York, en passant par le Texas et la Floride, viennent de vivre la plus grosse grève de détenu·e·s de leur histoire. Du 21 août au 9 septembre 2018, les prisonniers ont déclenché, de façon concertée et pacifique, des arrêts de travail, des sit-in, des grèves de la faim et d’autres moyens de pression dans le but de bloquer le bon fonctionnement du système carcéral américain.
S’il est impossible de calculer le nombre exact de prisonniers qui ont fait grève en raison de la répression et de la culture du secret qui règnent dans ce milieu, les médias ont rapporté que 34 prisons dans 17 États avaient été affectées par la grève, qui s’est étendue jusqu’en Nouvelle-Écosse. Le mouvement a reçu plusieurs appuis sur la scène internationale et des actions de solidarité de la part de prisonniers se sont tenues en Allemagne, en Grèce et en Palestine.
Les dates retenues pour le débrayage ne sont pas anodines. La grève a débuté le jour anniversaire de l’assassinat, en 1971, de l’activiste bien connu George Jackson dans la cour de la prison de San Quentin en Californie. Et elle a pris fin le jour anniversaire de la fin de l’émeute que sa mort avait déclenchée à la prison d’Attica, dans l’État de New York.
Une figure importante
Membre des Black Panthers, Jackson, prisonnier autodidacte, s’est battu pour mettre fin aux barrières raciales et sociales derrière les murs et pour unifier leurs populations disparates. Lors de l’émeute d’Attica provoquée par sa mort, 29 détenus et 9 gardiens de prison ont été tués. Le soulèvement a été l’occasion pour les prisonniers de révéler à l’Amérique leurs conditions de détention inhumaines et de réclamer des droits civils et politiques.
George Jackson est devenu l’icône du Jailhouse Lawyers Speak (JLS), le groupe derrière le récent appel à la grève générale. Dans la lignée du travail de Jackson, JLS a réuni autour de revendications communes diverses factions des populations carcérales des prisons fédérales et locales, de même que celles des centres d’immigration. Le groupe s’est d’abord constitué à partir d’un réseau de prisonniers devenus de véritables experts légaux du système carcéral, partageant leurs savoirs avec leurs codétenu·e·s, les formant sur leurs droits constitutionnels et leur donnant accès à différentes ressources juridiques. Au cours des dernières années, le travail de JLS a gagné en visibilité et le groupe s’est efforcé de coordonner ses efforts avec des appuis obtenus à l’extérieur de la prison.
« Nous avons appris au cours des ans que la solution ne peut pas venir seulement des luttes devant les tribunaux », explique Tony, un membre de JLS qui a été incarcéré pendant 15 ans. « Des formes d’action directe impliquant le monde extérieur et réclamant des changements dans le système de justice criminelle sont essentielles. C’est pourquoi nous nous sommes organisés à l’échelle nationale à travers Jailhouse Lawyers Speak. »
C’est ainsi que 10 revendications concernant les enjeux les plus urgents ont été élaborées par les prisonniers de tous les États. Celles-ci touchent tour à tour le travail forcé et l’esclavage, l’accès aux libérations conditionnelles et aux programmes de réhabilitation, la discrimination raciale dans les pratiques de détermination de la peine et le droit de vote.
De l’esclavage en prison ?
La revendication majeure de la grève de 2018 est la demande de mettre fin à l’esclavage carcéral (prison slavery). « L’esclavage des prisonniers est légal selon le 13e amendement de la Constitution américaine, qui abolit l’esclavage et la servitude, sauf à l’égard des criminels », rappelle Tony. Selon l’ancien détenu, le 13e amendement rend possibles des conditions de détention qui s’apparentent à l’esclavage partout aux États-Unis.
Les prisonnières et prisonniers travaillent dans différents secteurs (textile, biens mobiliers, électronique, recyclage), souvent en sous-traitance pour des entreprises comme McDonald’s, Sprint, Starbucks, Victoria’s Secret, Chevron et plusieurs autres, en étant payé·e·s moins de 2 $ par jour. Il n’existe aucun salaire minimum pour le travail effectué en prison ; certains États ne versent carrément aucune rémunération. Les détenu·e·s sont forcé·e·s de travailler de longues heures, durant lesquelles les normes de sécurité sont pratiquement inexistantes. Il n’y a généralement aucune indemnisation prévue dans le cas d’un accident de travail.
« De manière générale, les détenu·e·s sont de simples marchandises dans cette économie de l’esclavage carcéral. Ils ont seulement besoin de votre corps. C’est ce corps, cette force de travail qui compte plus que tout autre chose », dit Tony.
JLS exige également la fin des pratiques judiciaires racistes et classistes. La surjudiciarisation est un réel problème dans le système de justice américain qui fait en sorte que des individus sont condamnés pour des crimes plus graves que ceux qu’ils ont commis. Les hommes noirs américains, qui sont souvent issus de milieux pauvres, sont les plus représentés dans les prisons américaines. Il y a plus de 2,3 millions d’hommes noirs
derrière les barreaux, sur une population totale de 6,8 millions de détenu·e·s ; ils représentent ainsi 34 % des prisonniers, alors qu’ils ne forment que 12 % de la population totale des États-Unis. Ces chiffres, selon Tony, illustrent la perpétuation de l’esclavagisme à travers le système carcéral moderne.
Poursuivre la lutte
« La grève a placé le sujet dans le débat public. Elle a fait en sorte qu’une réforme de la justice criminelle est devenue un sujet de première importance dans le discours de plusieurs politicien·ne·s. Elle a changé la façon dont le grand public conçoit les prisonniers et prisonnières – d’animaux qu’il faudrait contrôler à des personnes qui sont en demande de ressources pour se réhabiliter. Elle a également accru le sentiment de solidarité parmi les détenu·e·s », explique Amani Sawari, porte-parole du mouvement de grève.
À la suite de la grève, JLS a rendu possible l’union de plus de 400 groupes pour former la coalition Millions for Prisonners’ Human Rights (« Des millions pour les droits humains des détenu·e·s »), menée par des prisonnières et prisonniers dont l’objectif, à terme, est de faire aboutir toutes les revendications des personnes incarcérées.
« Nous avons été violemment réprimé·e·s tout au long de la grève, dit Tony. Nous avons entendu des histoires de prisonnières et prisonniers battus, placés en isolement, transférés dans une autre prison. Les autorités ont utilisé tout un tas d’actions répressives. Pourtant, il faut continuer de croire à un système qui est différent de celui que nous avons aujourd’hui, un système carcéral qui ne fait pas des prisons des entrepôts pour êtres humains. »