Mini-dossier : État du droit au logement au Québec
Nous avons marché pour le droit au logement... et nous marcherons encore !
La marche du FRAPRU du mois de septembre restera gravée à jamais dans ma mémoire. J’ai vécu une expérience riche et intense. Surtout, la Marche a été un moment exceptionnel de solidarité, l’opportunité de renforcer mes convictions et un exercice de persévérance : tous les ingrédients d’une lutte que le mouvement mène sans relâche depuis 40 ans.
La journée d’une marcheuse était longue puisqu’il fallait souvent se lever vers 6 heures du matin, préparer notre déjeuner, faire le ménage, ranger nos affaires personnelles ainsi que les affaires du groupe dans le camion. Il fallait ensuite enfiler les kilomètres, préparer le dîner, marcher de nouveau, retrouver le camion, installer la salle (sous-sol d’église, aréna, salle municipale, gymnase, école, garderie, salle communautaire, etc.), préparer le souper, prendre une douche quand il y en avait une (!). Chaque soir, nous tenions une Assemblée des marcheuses et marcheurs afin de partager les informations logistiques du lendemain, de se distribuer les tâches de sécurité, de sentinelles [1], de gardien·ne·s du rythme. Finalement, nous arrivions vite à notre couvre-feu de 22 h.
La journée d’une marcheuse était physiquement éprouvante. Nous marchions en moyenne 20 kilomètres par jour, parfois jusqu’à 28. Nous sommes partis avec l’été à Ottawa et avons fini avec l’automne à Québec. Nous avons donc eu très chaud quand il faisait 43 degrés sur l’asphalte, nous avons été très mouillé·e·s quand il pleuvait des cordes, nous avons eu froid quand il avait gelé au petit matin. Le vent et le soleil ont brûlé nos lèvres. La chaleur de l’asphalte a blessé nos pieds. Les kilomètres, jour après jour, ont endolori nos muscles. La fatigue et la vie de groupe ont parfois mis notre patience à rude épreuve.
Malgré tout, ce n’était pas difficile de se mettre en marche chaque matin.
Premièrement, nous savions que nous marchions pour la bonne cause. Tout le monde avait vécu au moins une histoire dramatique de logement et plusieurs d’entre nous savaient qu’il y a une solution grâce au logement social. Entendre la dignité, la santé, la stabilité, l’espoir retrouvés grâce au logement social nous donnait le goût de repartir chaque matin.
Ensuite, la journée était remplie de rencontres – prévues ou spontanées. Lors des journées thématiques, nous étions accompagnés de dizaines, parfois de centaines de marcheurs et marcheuses supplémentaires. Par exemple, à Montréal, quatre moments de rassemblements, le long du trajet, ont attiré plusieurs centaines de personnes. Les organismes alliés s’étaient tellement bien préparés pour nous accueillir : un groupe en alphabétisation d’Argenteuil a produit un film sur les difficultés de faire respecter le droit au logement ; d’autres ont organisé des conférences de presse et des manifestations, ont préparé des pancartes et des bannières qu’on a croisées sur notre chemin ; certains avaient mobilisé leurs membres qui apportaient d’incroyables témoignages ; beaucoup nous ont hébergés ou nourris, que ce soit un repas cinq services ou une soupe réconfortante. Nous nous sentions attendu·e·s, accueilli·e·s et apprécié·e·s dans les villes et villages où nous passions, sauf dans quelques villes très riches de banlieue... Normal, on en a après leur argent.
Finalement, il y avait ces « moments de grâce » comme les appelaient une marcheuse : ces moments où on se sentait en famille, on riait autour d’un feu, une personne se livrait, se racontait, on improvisait et on chantait en cœur, on jouait aux quilles à 9 h du matin, on partageait nos lectures, nos réflexions, on se perdait puis on retrouvait notre chemin dans le champ de maïs, on jouait au loup-garou, etc.
Il y aurait tant à raconter sur l’expérience, mais je crois que la marche ne fait que commencer. Nous avons montré la force, le courage, la résilience, la légitimité de notre mouvement. Nous avons sensibilisé, nous avons créé et renforcé des liens. Nous avons vu sur notre chemin beaucoup de richesse qu’il faut partager parce que nous avons aussi vu les communautés qui n’en ont pas assez et qui manquent cruellement de logements sociaux. Le logement n’est toujours pas un droit, mais nous marcherons tant qu’il le faudra ! En tous cas, depuis la marche, je resigne pour dix ans de lutte !
[1] Le FRAPRU a un code de vie que chaque personne participante s’engage à respecter. Il prévoit que des « personnes sentinelles » s’assurent de son respect. Ces personnes veillent ainsi au bien-être de tout le monde et du groupe. Comme toutes les autres tâches, celle de sentinelle est assurée en rotation.