Prolétaires de tous les jeux, unissez-vous !

No 096 - Été 2023

Travail

Prolétaires de tous les jeux, unissez-vous !

Entrevue avec Games Workers Unite Montréal

Yannick Delbecque, Games Workers Unite Montréal

Games Workers Unite Montréal est une organisation locale s’inscrivant dans le mouvement mondial Games Workers Unite (GWU). À bâbord ! s’est entretenu avec eux pour discuter de la situation au Québec. Propos recueillis par Yannick Delbecque.

À bâbord ! : Quels sont les objectifs de votre mouvement ?

Games Workers Unite Montréal : GWU est un mouvement composé de travailleuse·eurs de l’industrie du jeu vidéo apparu en 2018 et qui s’est rapidement répandu à l’international. Son objectif est la syndicalisation de l’industrie du jeu vidéo. C’est une industrie importante qui existe maintenant depuis des décennies et dont les conditions de travail causent de nombreux problèmes.

Dans les dernières années, plusieurs aspects de la culture de l’industrie du jeu vidéo ont été remis en question. Par exemple la normalisation du « crunch », terme de l’industrie pour les longues périodes où les heures supplémentaires non payées sont attendues de la main-d’œuvre. Le crunch est illégal au Québec, mais est néanmoins une pratique courante dans l’industrie. Les patrons répètent souvent que la « passion » pour le médium du jeu vidéo justifie les conditions de travail invivables ou encore que le studio représente une « famille » pour celleux qui y travaillent. Ce discours est maintenant reçu de manière critique par les travailleuse·eurs de l’industrie. Malgré cette situation, et jusqu’à tout récemment, il n’y a pas eu de formation de syndicats dans l’industrie.

Le mouvement mondial Game Workers Unite est formé d’un grand nombre d’organisations locales et de syndicats à travers le monde qui se sont formés dans le contexte du mouvement GWU. Ces organisations collaborent et communiquent les unes avec les autres, mais fonctionnent chacune de manière autonome.

Les membres de GWU Montréal sont employé·es dans différents lieux de travail. L’organisation vise à soutenir toute campagne de syndicalisation dans l’industrie locale, peu importe le lieu de travail ou la fédération syndicale existante avec laquelle les travailleuse·eurs concerné·es peuvent avoir décidé de collaborer. GWU Montréal répond au besoin d’avoir une organisation capable de soutenir les efforts de syndicalisation dans tous les lieux de travail de l’industrie, et ce, dès les premières étapes du processus jusqu’à la reconnaissance officielle.

ÀB ! : Est-ce que GWU Montréal a des objectifs spécifiques à la situation montréalaise ?

GWUM : Aux États-Unis, depuis 2020, la fédération syndicale Communication Workers of America (CWA) offre un grand soutien aux campagnes de syndicalisation de l’industrie du jeu vidéo avec leur projet « CODE-CWA » (Campaign to Organize Digital Employees). La majorité des nouveaux syndicats dans l’industrie états-unienne ont rejoint cette fédération. En Ontario, GWU Toronto collabore étroitement avec la branche canadienne de CWA. Depuis 2018, plusieurs syndicats ont obtenu la reconnaissance officielle dans l’industrie canadienne du jeu vidéo. C’est le cas du syndicat KWS Edmonton United, qui a rejoint les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce. Les travailleuse·eurs du studio Anemone Hug ont rejoint l’International Alliance of Theatrical Stage Employees (IATSE). Les travailleuse·eurs du studio Vodeo Games, réparti·es entre le Canada et les États-Unis, se sont syndiqué·es en 2021. Leur syndicat, Vodeo Workers United, est le premier syndicat reconnu en jeu vidéo en Amérique du Nord et compte dans ses rangs plusieurs membres de GWU Montréal.

Par contraste, la syndicalisation de l’industrie québécoise n’est pas aussi avancée. Le paysage syndical québécois est unique et particulier, avec sa propre histoire et ses propres considérations. À travers GWU Montréal, les membres de différentes campagnes syndicales dans l’industrie peuvent partager leur expérience et leurs apprentissages, se tenir au courant des nouveaux développements et s’entraider dans leurs efforts. Nous organisons également des ateliers publics tels que notre atelier « Quels sont mes droits ? » sur le droit du travail au Québec, des formations à l’organisation syndicale, et nous diffusons du matériel d’éducation sur ces sujets. Nos membres s’impliquent aussi dans les luttes des industries sœurs de l’industrie du jeu vidéo, comme le cinéma d’animation et la tech, et participent aux manifestations en solidarité avec les communautés noires et autochtones de Montréal.

ÀB !  : GWU est un mouvement parasyndical qui encourage et soutient les efforts de syndicalisation sans être lui-même un syndicat ou une fédération syndicale. Quels liens GWUM a-t-il avec les organisations syndicales ou militantes en place au Québec ?

GWUM : Au Québec, GWU Montréal maintient le contact avec le plus d’organisations syndicales possible, incluant les centrales syndicales québécoises (FTQ, CSN, CSQ, etc.), les branches canadiennes de CWA et de IATSE, et le Syndicat industriel des travailleurs et des travailleuses, avec qui nous avons collaboré sur plusieurs projets. Comme il n’y a pas vraiment de précédent ou de mémoire institutionnelle pour la syndicalisation dans notre industrie, nous avons dû tout apprendre à partir de zéro. L’expérience et le soutien des organisations syndicales présentes dans d’autres industries ont été d’une aide immense et très appréciée. Nous avons également grandement profité du support matériel d’organisations étudiantes comme le groupe de recherche d’intérêt public GRIP-Concordia et l’Association facultaire étudiante des sciences humaines de l’UQAM.

ÀB ! : Est-ce que l’industrie québécoise du jeu vidéo est hostile à la syndicalisation ?

GWUM : Pour leur part, les travailleuse·eurs de l’industrie québécoise sont en grande majorité sympathiques à la syndicalisation ! Un premier obstacle est le manque d’éducation au sujet des syndicats et de leur fonctionnement, surtout en ce qui concerne la création d’un syndicat. Un autre obstacle est l’hésitation, la peur et l’insécurité par rapport aux risques de riposte patronale.

Ce sont les dirigeants et les propriétaires de l’industrie qui sont hostiles aux syndicats, comme dans toutes les industries à profit. Sans syndicats pour donner une voix aux travailleuse·eurs, les chefs d’entreprise ont l’habitude de parler seuls au nom de l’industrie. La propagande antisyndicale et les tactiques visant à briser les mouvements de syndicalisation sont faciles à reconnaître, car elles sont les mêmes que dans toutes les autres industries. Elles peuvent freiner l’enthousiasme soutenant un effort de syndicalisation quand on n’est pas prêt à y faire face, mais elles ont peu d’effet ou même l’effet contraire si on les voit venir !

ÀB ! : Quelles sont les difficultés auxquelles font face les groupes souhaitant créer un syndicat ?

GWUM : C’est l’opposition des chefs d’entreprise et le pouvoir unilatéral détenu par le patronat qui représentent les obstacles principaux. Par exemple, les studios de jeux américains Activision-Blizzard-King ont récemment fait les manchettes à cause des pratiques antisyndicales de leurs dirigeants, notamment le recours aux services d’une firme spécialisée en action antisyndicale. Cette même firme est aussi sous contrat avec plusieurs studios présents à Montréal, comme Ubisoft et Eidos.

On retrouve dans l’industrie du jeu vidéo une variété de conditions de travail, comme le télétravail ou les contrats de travail pigiste, qui peuvent présenter un défi pour les travailleuse·eurs voulant se syndiquer. Mais c’est également une opportunité d’adapter les stratégies syndicales classiques à de nouvelles qui pourraient bientôt survenir dans un grand nombre d’autres industries. Par exemple, le syndicat états-unien des travailleuse·eurs du studio Voltage a obtenu une augmentation de paie suite à une grève, et ce, malgré le statut de pigistes des travailleuse·eurs et l’absence de cadre juridique pour leur syndicalisation. Pour leur part, les travailleuse·eurs de 

Vodeo Workers United ont obtenu la reconnaissance officielle de leur syndicat, bien qu’iels soient réparti·es des deux côtés de la frontière canado-américaine, que le studio fonctionne exclusivement en télétravail, et que leur syndicat représente pigistes et employé·es dans la même unité de négociation ! Tout le mouvement syndical peut apprendre de cet exemple historique.

ÀB ! : Est-ce que le mouvement de syndicalisation dans l’industrie du jeu vidéo pourrait encourager la syndicalisation dans d’autres secteurs technologiques, historiquement peu syndiqués ?

GWUM : Non seulement la syndicalisation dans l’industrie du jeu vidéo pourra avoir un tel effet, mais cela a déjà été le cas ! En effet, aux États-Unis, la campagne CODE-CWA a son origine dans le mouvement GWU, mais couvre l’entièreté du secteur technologique. Aujourd’hui, des unités syndicales se sont formées dans quatre des cinq grandes entreprises GAFAM : Alphabet (Google), Microsoft, Apple, et Amazon. Plusieurs syndicalistes maintenant actif·ves dans ce secteur ont auparavant travaillé dans l’industrie du jeu vidéo et ont fait leurs débuts au sein de GWU.

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