Dossier : Aux Voleurs ! Nos ressources naturelles et le Plan Nord
La grande braderie
Le temps a bien passé entre le moment où René Lévesque, ministre des Ressources naturelles, expliquait en bon maître d’école, les avantages que procurerait la nationalisation de l’électricité pour l’ensemble de la population québécoise. En 1962, lorsque le gouvernement de Jean Lesage déclenche des élections sur la question de la nationalisation de l’électricité, la population avait compris que l’exploitation de cette richesse ne devait plus servir à payer des dividendes à des actionnaires qui vivaient pour la plupart à l’étranger et qui ne se préoccupaient pas de son état d’avancement de la société.
« On ne peut pas demander aux corporations minières, qui sont des entreprises privées, dont les bureaux chefs ne sont même pas chez nous dans les neuf dixièmes des cas, de se préoccuper de la population québécoise. C’était pas leur problème. Leur problème, c’était de faire de l’argent de plus possible parce qu’on leur avait concédé nos richesses minières. Ils ont siphonnées de leur mieux. »
– René Lévesque
René Lévesque avait fait comprendre aux Québécois qu’il était avantageux pour eux de devenir propriétaire de cette ressource. Et la population a répondu favorablement au projet en reportant Jean Lesage au pouvoir en novembre de cette année-là avec une écrasante majorité. Nous allions devenir maître chez nous, collectivement propriétaires d’une richesse énergétique qu’« on a plus que partout au Canada, plus qu’en Amérique du Nord…plus que n’importe qui autour de nous », disait-il encore.
Nous avons accordé au gouvernement du Québec dans les années 1960 d’être le gardien de cette ressource. Mais depuis la fin du XXe siècle, le gouvernement (le représentant de la population) est aussi le gardien des ressources, minières, gazières et pétrolière du territoire. Et à celles-ci s’ajoute aussi la forêt. Toutes ces richesses sont la propriété de tous les Québécois et Québécoises. Il faut un chroniqueur du journal Les Affaires pour le constater. « Le Québec est assis sur une montagne de richesses », écrit René Vézina le 6 octobre dernier. « Comment se fait-il que le Québec soit une province pauvre qui dépend de la péréquation pour offrir des services de base à ses citoyens ? »
En mettant de côté l’ironie qui veut légitimer le modèle d’exploitations des ressources à des fins privées, on peut regarder la façon dont nous, les Québécois, avons été spoliés. Dans les années 1960 après la nationalisation de l’électricité, les gouvernements qui se sont succédé avaient créé la Société québécoise d’exploration minière (SOQUEM - 1965) et la Société québécoise d’initiative pétrolière (SOQUIP - 1969). L’une a été émasculée, l’autre a carrément disparu à partir de 2003 au profit des intérêts privés…notamment ceux qui s’intéressent à l’exploration pétrolière à l’île d’Anticosti. Que s’est-il passé ?.
Quand on s’invite
Il faut une saga à l’échelle de la province comme celle suscitée par le dossier de l’exploration des gaz de schiste en 2010 pour réussir à alerter la population sur le fonctionnement de l’industrie. Il fallait un gros coup de la sorte pour permettre une prise de conscience générale sur la manière dont sont gérées nos ressources naturelles au Québec. Qui faut-il remercier pour la monumentale erreur d’avoir permis à l’industrie gazière de s’inviter chez les gens et de procéder à des forages dans leurs cours en laissant croire que tout irait bien ? Au XXIe siècle, quelqu’un s’attendait-il encore à ce que tout le monde se taise ?
C’est la rupture entre les époques. Une gaffe qui tire ses origines dans notre histoire coloniale et qui met en lumière le mode de fonctionnement de l’industrie minière (ou gazière, c’est la même chose). Sans elle, pas de levée de boucliers de la population. Pas de prise de conscience ni de dénonciation des pratiques ayant trait à l’attribution des concessions (les claims) qui sont en vigueur au pays depuis le milieu du XIXe siècle. Les années 1800 ! La Loi sur les mines du Québec permet à tout venant de déposséder quiconque de son bien et de son droit à la terre. La preuve ? L’expropriation depuis 2007, de tous les résidents d’un quartier de la ville de Malartic en Abitibi-Témiscamingue pour faire place à l’une des plus grosses sociétés d’extraction minière d’or du Québec, la minière Osisko.
Des façons de faire qui donnent préséance à la propriété privée. Et « avec la propriété privée dans ce pays, viennent tous les privilèges. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent quand ils veulent. Avec la propriété publique, la responsabilité publique exige que les ressources soient extraites et restent dans la communauté, jusqu’à l’étape finale. C’est l’un des avantages de la nationalisation [des ressources.] Choisir [comment elles seront] utilisées au bénéfice des Canadiens », déclare l’ancien maire de Sudbury, John Rodriguez.
Colonialisme économique de la part des compagnies minières
Il y a quarante ans, le projet du siècle, le Plan Nord de Robert Bourassa, c’était le dévelopement de la Baie James. À l’époque le discours disait d’aller dans le nord pour s’approprier ce qui revient naturellement de droit au Québécois.es. Avec l’achat par le gouvernement des sociétés productrices d’électricité, les études d’aménagement des rivières de la baie James effectuées par la Shawinigan Water and Power Company servent à alimenter les projets de développement économique de la province. Toute la population allait bénéficier d’une électricité propre et la vente des surplus allait rapporter des revenus importants pour la province. Seul oubli dans l’équation, la réaction des Premières Nations. Elles ont dû se battre pour obtenir leur part. Le gouvernementa dû s’asseoir et négocier pour aboutir à la Convention de la Baie James et du Nord québécois en 1975. Dans la négociation, il obtient le droit de développer les secteurs minier, hydraulique et forestier.
« Pour vanter son projet, Jean Charest utilisait lui aussi une rhétorique faisant appel aux nouvelles frontières inexplorées, similaire à celles de la Conquête de l’Ouest et des ruées vers l’or », explique Ugo Lapointe porte-parole de Québec meilleure mine. Mais à la différence du projet de Robert Bourassa, l’électricité dans le Plan Nord n’aura plus pour but de permettre à l’État québécois d’engranger des revenus, mais plutôt de subventionner, grâce à des tarifs bradés, des entreprises privées qui iront vider le sous-sol québécois pour enrichir des actionnaires, « qui ne sont même pas chez nous » comme le disait René Lévesque dans les années 1960. Un colonialisme économique sans pareil, caractérisé par trois facteurs selon Ugo Lapointe, 1) la propriété étrangère des ressources ; 2) leur exportation à l’état brute vers l’étranger ; 3) la focalisation sur la création d’emplois de la part du gouvernement afin de permettre l’acceptation générale de cette situation. Les publicités des sociétés minières qui remplissent les pages du journal Les Affaires sont éloquentes à cet égard.
Il faut tout de même regarder les chiffres : quelques 80 milliards de dollars d’investissement public pour construire principalement des routes, des chemins de fer et des barrages hydro-électriques au service des minières qui ont de la difficulté à respecter les règles de paiement de redevances minimes. Dans le diagramme en tarte qui détermine la contribution des différents secteurs d’activités économiques au Trésor québécois, pour l’année d’imposition 2005, les mines s’en tiraient avec la part la plus avantageuse avec une contribution de seulement 1,5 % - soit moins encore que le secteur agricole à 2,5 %. Ajoutez à cela toutes les mesures et les allocations accordées par le gouvernement et les entreprises de ce secteur peuvent, comme le mentionne le Vérificateur général dans son rapport pour l’année 2007-2008, ne déclarer officiellement aucun profit. Pour cet exercice-là, les profits déclarés au ministère des Ressources naturelles et de la Faune par les 14 minières en exploitation étaient de 324 M$ et de ce montant, 138 M$ provenait d’une seule société minière. Comment est-ce donc possible que les 13 autres minières ne déclarent que 186 M$ de profit dans cette même année ? C’est un camouflage efficace.
Des pratiques du Far West
Le libre accès au territoire tire son origine d’une autre époque. Elle s’inspire des pratiques mises en applications par les mineurs provenant du monde entier pour faire fortune lors de la ruée vers l’or de 1849 en Californie. Les pratiques s’appuient sur le principe de l’appropriation par le premier occupant (free miners). En 1855, l’Australie adopte, elle aussi, le modèle des claims tandis qu’il est inscrit dans la Gold Fields Act de l’État de la Californie en 1859. C’est cette loi, sous la pression des mineurs, qui oriente la rédaction de l’Acte concernant les mines d’or du Canada uni en 1864 et qui vise à encadrer une nouvelle ruée vers l’or, celle qui se déroule en Beauce.
C’est dans le Mining Act en 1866 (et modifiée en 1872) que les États-Unis légifèrent sur les pratiques de jalonnement. « La prise de possession se fait par un piquet placé à l’endroit de la découverte » et par quatre autres piquets aux limites du terrain. Depuis, le mode de fonctionnement dans ce pays est resté pratiquement inchangé. Pour son Acte général des mines de Québec de 1880, toujours sous l’influence des mineurs, le gouvernement adopte la pratique des claims, mais à la différence de ce qui se fait aux États-Unis, la province demeure propriétaire du sous-sol, un droit conféré par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Déjà, à l’époque, la loi québécoise établissait à l’avantage des mineurs, le droit d’expropriation.
Le modèle de jalonnement par piquets est toujours en vigueur, mais en 2000, merveille de la technologie, Québec systématise le système des claims. Ils se font dorénavant par Internet. C’est le modèle « Click and Claim » instauré par le parti québécois et géré par le GESTIM, pour des parcelles de terrain déterminées sur des cartes par le ministère des Ressources naturelles. Dans toutes les autres sphères d’activité, il n’y a aucun titre de propriété qui s’acquiert de cette manière. Le comble est que ces prises de possession ont préséance, notamment, sur la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme du Québec, adoptée, elle, en 1979. Il suffit de lire l’article 246 de cette loi : « Aucune disposition de la présente loi […] ne peut avoir pour effet d’empêcher le jalonnement ou la désignation sur carte d’un claim […] ou l’exploitation de substances minérales et de réservoirs souterrains, faits conformément à la Loi sur les mines. » Avec de telles dispositions, on peut se demander de quoi aurait l’air la ville de Québec ou celle de Montréal si elles devaient être défigurées par un trou de 2 km de diamètre comme celui que la minière Osisko est en train de creuser à Malartic…
Tournez en rond
Développer le nord est un projet de longue date. Il y a 100 ans, Lormer Gouin, premier ministre du Québec, obtient du gouvernement fédéral l’autorisation d’annexer l’Ungava (aujourd’hui le Nunavik). Il crée le Nouveau-Québec en 1912. Comme aujourd’hui, la hausse du prix des métaux crée un boum minier. Il est favorable à une intervention de l’État dans le secteur, mais veut attirer les capitaux étrangers, notamment des États-Unis, pour assurer l’essor économique de la province. Ce qui suscite à l’époque la critique d’Henri Bourassa, député de la ligue nationalise et fondateur du journal Le Devoir, il faut « d’autres moyens pour attirer les capitaux […] Il est temps que la province de Québec cesse d’être le paradis des spéculateurs. »
D’une époque à l’autre, le modèle est toujours le même : sortir la richesse pour l’envoyer ailleurs et la racheter sous forme de produits transformés. Depuis que Jean Charest a fait l’annonce de sa décision unilatérale de lancer le Plan Nord en 2008, il y a eu deux rapports du Vérificateur général dont les conclusions sur le secteur sont pour le moins lapidaires. Il y a eu deux commissions parlementaires et deux projets de loi pour modifier la Loi sur les mines qui n’ont pas abouti. En 2008 le Plan Nord était un projet de développement hydro-électrique. Avec la hausse de la valeur des minerais, il est devenu un projet principalement minier. Aucune étude environnementale stratégique n’a été réalisée. Pourtant, l’eau douce de ce territoire qui représente 10 % des réserves mondiales vaut, peut-être à long terme, plus que l’exploitation immédiate du sous-sol, surtout dans les conditions d’extraction actuelle qui rendent cette eau insalubre. Tout au plus 500 personnes ont donné leur avis sur ce que devait contenir le Plan Nord. Il n’y a eu aucune consultation publique. Et les Premières nations ont une fois de plus été oubliées dans l’équation.
La colonisation prend plusieurs formes, mais elle est toujours forgée sur le même modèle. Seules les techniques changent. Au bout du compte c’est toujours une histoire d’exploitation des biens et des peuples au profit d’un petit groupe. Pour l’électricité, dans les années 1960, nous avions décidé qu’il était temps de changer le modèle.