No 047 - déc. 2012 / jan. 2013

Économie

Science économique

De la défense du plus fort à l’aveuglement doctrinaire

Philippe Hurteau

Cet automne, l’Institut économique de Montréal (IEDM) a publié une nouvelle note économique portant sur les « failles » des lois anti-trust [1]. En utilisant le cas Google, l’auteure, Marie-Josée Loiselle, s’attaque aux législations en vigueur qui visent à lutter contre la constitution de monopole. Il s’agit d’un texte bien simple, qui se donne un objectif des plus clairs : décrire les lois anti-trust comme étant mauvaises, mal adaptées à la complexité de l’économie et, au final, contre-productives.

La défense unilatérale d’une multinationale comme Google, si elle n’est pas surprenante venant de l’IEDM, permet d’éclairer la nature et la profondeur du travail scientifique réalisé par nos « amiEs » de la droite libertarienne : une opposition simpliste entre les bons monopoles privés et les mauvais monopoles publics – ce qui en dit long sur les jeux d’intérêts qui se cachent derrière la production idéologique – et l’aveuglement doctrinaire comme principale dynamique interne de cette production.

La question des monopoles

Les lois anti-trust sont conçues, théoriquement, afin d’empêcher qu’une entreprise parvienne à concentrer sous son contrôle une trop grande part de marché dans un secteur donné. Passé un seuil X de concentration, celle-ci est considérée comme néfaste parce qu’octroyant un « pouvoir de marché » à l’entreprise monopolistique, ce qui lui permet d’imposer les prix et de parvenir à ses fins par des moyens jugés déloyaux. Pour l’IEDM, une telle conception des limites de la théorie de la concurrence relève d’une vision statique de l’économie qui 1) ne prend pas en compte les concurrents potentiels qui, s’ils se montrent innovants et travaillants, pourront venir briser toute situation de monopole et 2) vise, au bout du compte, à s’attaquer aux succès des firmes les plus méritantes. Bref, les monopoles privés ne peuvent être mauvais pour la concurrence parce qu’ils en sont eux-mêmes issus et parce que, ultimement, ils ne peuvent contrôler complètement l’arrivée de nouveaux compétiteurs.

Si, pour l’IEDM, les attaques contre les monopoles privés relèvent d’une compréhension vulgaire de l’économie concurrentielle – économie qui n’existe pleinement que dans les manuels scolaires, faut-il le rappeler ! –, les attaques contre les monopoles publics sont, de leur côté, tout à fait justifiées. Rappelons-nous les sorties de l’IEDM demandant le démantèlement et la privatisation à la pièce d’Hydro-Québec et de la SAQ, ou encore leurs critiques à l’endroit des systèmes de gestion de l’offre en agriculture et dans l’industrie du taxi.

La ligne de démarcation dans le jugement posé sur la question des monopoles tend à renverser l’accusation de simplisme : les monopoles privés sont bons justement parce qu’ils sont le fruit de décisions et d’actions privées tandis que les monopoles publics, puisque résultant d’une décision législative ou réglementaire, briment intrinsèquement la liberté économique des individus.

Aveuglement doctrinal

Une citation de la note de l’IEDM retient l’attention : « La concurrence ne se mesure pas simplement par des parts de marché ou par le nombre d’entreprises sur un marché. C’est plutôt le nombre de concurrents potentiels qui compte. » En substance, l’auteure affirme donc que ce qui importe vraiment pour comprendre le jeu complexe de la concurrence, ce ne sont pas les facteurs concrets du marché, mais bien ceux qui n’existent qu’en puissance. Je pourrais traduire la citation précédente ainsi : « Ce qui compte, ce n’est pas ce qui compte, mais ce qui pourrait compter. »

La constitution de monopoles ne pose donc pas de sérieux problèmes économiques, parce que la concurrence demeure un jeu ouvert. Au lieu de s’attaquer aux succès des plus méritants, pourquoi ne pas redoubler d’ardeur, se montrer innovant et ainsi se tailler une place au soleil par nos propres efforts ? Les législations anti-trust ne comprendraient pas les dynamiques internes de l’économie, incapables qu’elles sont de saisir cette psyché profonde qui anime les véritables entrepreneurs : le goût du risque, l’esprit d’innovation et la capacité à ne pas baser leurs décisions sur ce qui est, mais bien sur ce qui sera.

Le capitalisme néolibéral nous invite à ne pas vivre au présent, mais à toujours anticiper sur l’avenir comme meilleur gage de prospérité : il faut anticiper les fluctuations des marchés et intégrer à soi, à l’avance, les normes à venir d’un monde que le capital construit pour nous. Si des entreprises monopolistiques comme les grandes pétrolières, Google ou Microsoft existent et se maintiennent, ce n’est certes pas en raison du recours à des procédés économiques déloyaux ou à des pratiques sociales et environnementales contestables, ce n’est que parce qu’elles ont compris comment vaincre dans un système de vive compétition. Pour cela, nous devrions les remercier et non, ingrats que nous sommes, chercher à les punir de leurs succès.


[1LOISELLE, Marie-Josée, Les failles des lois sur la concurrence : le cas Google, Montréal, IEDM, 2012.

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