International
Le Pacte budgétaire en Europe
Ajouter de la crise à la crise
Les pays membres de l’Union économique et monétaire européenne (zone euro) sont en train de ratifier le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro (TSCG), dit aussi Pacte budgétaire. La France l’a ratifié en octobre. Ce traité instaure une « règle d’or » budgétaire, c’est-à-dire l’interdiction de dépasser 0,5 % de déficit structurel public par rapport au PIB. Cela revient à interdire toute marge de manœuvre pour les politiques économiques. Il fait donc abstraction de la récession générale qui sévit depuis que la crise financière a entraîné les économies dans la débâcle : ainsi, il va accroître les difficultés, ajouter de la récession à la récession, du déficit au déficit, de la dette à la dette.
Sont donc ignorées les véritables causes de ladite crise de la dette publique, à savoir la défiscalisation des riches et des grandes entreprises, ainsi que la diminution des cotisations sociales à la charge des employeurs, menées systématiquement depuis un quart de siècle, qui ont progressivement creusé les déficits des administrations publiques, Sécurité sociale incluse. Déficits qui se sont brutalement aggravés avec la crise depuis cinq ans, à cause du renflouement des secteurs bancaire et industriel en difficulté et à cause de la récession qui a réduit les recettes fiscales. Dans la mesure où les traités européens font interdiction à la Banque centrale européenne (BCE) de prêter aux États, les déficits se traduisent par un accroissement très important de la dette publique auprès des créanciers privés.
Sans doute (in)consciente du choc que ce nouveau traité va provoquer, la BCE a annoncé qu’elle achètera « sans limites » sur le marché secondaire des titres publics à échéance courte en cas de difficulté des États, mais en revendant pour des montants équivalents des titres privés, de façon à stériliser la création de monnaie précédente. Ainsi, la BCE et le Pacte prorogent l’inexistence en Europe d’une véritable banque centrale qui soit « prêteur en dernier ressort » pour l’ensemble de l’économie. [1]
Comme rien n’est prévu en faveur d’un véritable budget européen, le Pacte entérine les différences de développement entre les pays membres de l’UEM, sur lesquelles les entreprises en position dominante pourront jouer en faisant produire par des travailleuses et des travailleurs sous-payés dans les pays les plus faibles économiquement.
Il soumet à une « stricte conditionnalité » l’aide financière éventuelle apportée par le Mécanisme européen de stabilité (MES). Celui-ci, n’ayant pas le statut de banque, ne pourra pas se refinancer auprès de la BCE et il empruntera sur les marchés financiers qui garderont ainsi la main : la boucle sera bouclée depuis l’interdiction faite aux États d’emprunter auprès de la BCE, le plongement dans l’endettement public auprès des marchés, jusqu’à l’« aide » apportée par les mêmes marchés.
En obligeant les États à des coupes budgétaires énormes dans les dépenses publiques et sociales, le Pacte permet aux classes dominantes d’éviter une réforme fiscale d’ampleur qui leur ferait restituer au moins une partie des richesses qu’ils ont concentrées depuis trois décennies. Il perpétue la conception absurde selon laquelle les dépenses publiques parasiteraient l’économie marchande, car elles seraient payées par un prélèvement sur cette dernière, seule considérée comme productive. Or les travailleurs des services non marchands produisent la valeur économique de ceux-ci et lesdits prélèvements obligatoires sont effectués sur un revenu global déjà augmenté de cette valeur [2]] : par exemple, en France, cela représente un bon quart du PIB.
Déni de démocratie
En refusant de soumettre ce Pacte au suffrage populaire, les dirigeants européens ont fait une entorse grave à la démocratie. Entorse que le Pacte aggrave dans la mesure où il obligera les États à soumettre leur projet de budget annuel à l’approbation de la Commission européenne, selon une procédure appelée « le semestre ». Et, si le Pacte n’était pas ratifié, cinq règlements et une directive dits « six-pack », afin de contrôler les politiques publiques, et deux règlements dits « two packs », renforçant le pouvoir de la Commission, sont déjà prêts pour faire la même chose.
La rentrée sociale française a été sonnée par les mobilisations contre les fermetures d’usines comme chez PSA ou Sanofi et par celles contre l’austérité. Le 30 septembre, à Paris, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestaient, à l’appel d’une soixantaine d’organisations syndicales, associatives et politiques. Cela donnait une ampleur nouvelle à la campagne pour un audit citoyen sur la dette publique menée au sein des très nombreux collectifs unitaires. Dans le même temps, citoyennes et citoyens grecs, espagnols et portugais augmentent leur pression sur leurs gouvernements acharnés à mettre en œuvre les politiques imposées par le FMI, la BCE et la Commission européenne. Du 8 au 11 novembre dernier se tenait une rencontre des mouvements sociaux à Florence pour préparer un « Alter Summit » à Athènes au printemps prochain. Il est certain que seule l’opposition résolue et convergente des mouvements sociaux sera capable de mettre en échec toutes les atteintes aux droits sociaux et démocratiques dont la finalité est de perpétuer le règne de la finance capitaliste.
[1] Voir le dossier dans Lignes d’Attac, no 90, juillet 2012, « Pour une banque centrale au service des peuples et en finir avec la loi de la finance ». [http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/monnaie/bce-au-service.pdf].
[2] Voir un de mes textes sur cette question, par exemple : J.M. Harribey, « Les vertus oubliées de l’activité non marchande », Le Monde diplomatique, novembre 2008. [http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/non-marchand-diplo.pdf