No 047 - déc. 2012 / jan. 2013

Culture

Gentilly Or Not To Be

Une démystification essentielle

Paul Beaucage

L’annonce récente du déclassement de la centrale nucléaire Gentilly-2 par le gouvernement nouvellement élu du Parti québécois a suscité de vives réactions au sein de la population de Bécancour et d’une partie de la Mauricie. Pourtant, au cours des dernières années, des scientifiques québécois engagés – en particulier, ceux du collectif Sortons le Québec du nucléaire – ont alerté l’opinion publique en soulignant les dangers, pour l’homme et l’environnement, qui se rattachent à l’exploitation énergétique de la fameuse centrale de Bécancour.

Soucieux de saisir et de traduire adéquatement cette problématique, les réalisateurs Guylaine Maroist et Éric Ruel se sont penchés sur le cas particulier de l’usine nucléaire Gentilly-2 pour réaliser un documentaire didactique au titre ironique, mais quelque peu racoleur : Gentilly Or Not To Be (2012). Considérant les points de vue des tenants et des adversaires de l’énergie atomique, les deux cinéastes tentent dans ce film de transmettre une connaissance éclairée au spectateur afin qu’il puisse évaluer lui-même ce que la population québécoise aurait pu gagner ou perdre en maintenant cette centrale nucléaire en activité. À cet égard, la démarche de Maroist et Ruel s’inscrit dans la continuité de leur précédent documentaire, Bombes à retardement (2007), qui traitait brillamment de la contamination radioactive qu’ont subie des militaires canadiens ayant participé à des essais nucléaires au Nevada, il y a cinquante-cinq ans.

De l’Allemagne au Québec

Mettant la situation du Québec en perspective, Maroist et Ruel nous signalent que, lorsqu’elle est en opération, la centrale Gentilly-2 constitue un danger pour la population vivant à proximité. Pour prouver la véracité de leur propos, les deux réalisateurs s’appuient principalement sur les données que comporte l’enquête germanique KIKK. Cette étude, qui devait originellement rassurer les AllemandEs au sujet des dangers encourus par la population face à l’activité des centrales nucléaires, a suscité l’effet contraire. De fait, les résultats de ladite recherche scientifique ont clairement démontré que les gens vivant à proximité des centrales nucléaires courent beaucoup plus de risques d’être atteints d’un cancer que des gens qui vivent dans un environnement exempt de la radioactivité produite par ces usines. Cette constatation a obligé le gouvernement conservateur d’Angela Merkel à procéder au lancement d’un programme de fermeture graduelle de toutes les centrales atomiques nationales.
Qu’ont en commun les réacteurs nucléaires allemands et celui de Gentilly-2 ? Le fait de répandre une grande quantité de tritium, un isotope radioactif, dans l’atmosphère. Or, selon l’expert en matière de radiation Ian Ferley, le taux de radioactivité propre à la centrale Gentilly-2 apparaît encore plus dangereux que ceux des usines nucléaires allemandes ou européennes. En conséquence, sur le plan de la santé publique, il se révèle indéniable que le Québec a tout intérêt à cesser d’exploiter le réacteur de Bécancour.

Une pertinente critique politique

De façon générale, on peut soutenir que les deux réalisateurs se montrent particulièrement critiques, envers l’attitude du gouvernement Charest en raison de son obstination à utiliser l’énergie nucléaire alors qu’elle ne compte que pour moins de 3 % de la production électrique du Québec, lorsque Gentilly-2 est opérationnel. Cela explique que l’on entend le premier ministre Charest insister lourdement, en 2010, sur le fait que l’énergie nucléaire est, à ses yeux, totalement sécuritaire. En outre, il évoque la nécessité de préserver les emplois de sept cents travailleurs, qui œuvrent au sein de la seule centrale nucléaire du Québec, sans jamais mentionner les coûts publics reliés à leurs activités professionnelles.

N’empêche que la scène la plus frappante du film, touchant au monde politique, est sans doute celle qui nous montre le premier ministre Charest faire une profession de foi arrogante et fanfaronne envers l’initiative de la réfection de la centrale Gentilly-2, après que Christian Simard, de Sortons le Québec du nucléaire, en ait appelé à sa sensibilité afin qu’il renonce à ce projet. Visiblement, les considérations d’ordre sanitaire exprimées par un ou des médecins n’ont aucun poids par rapport à l’électoralisme du premier ministre du Québec d’alors.

Cela dit, on est tout de même étonné de voir un scientifique s’en remettre à la prétendue humanité de Jean Charest, pour le pousser à mettre l’énergie atomique au rancart. Indubitablement, les deux cinéastes auraient dû prendre une certaine distance par rapport à cette pipolisation du débat politique entourant l’exploitation de l’énergie nucléaire au Québec. À défaut de quoi, ils laissent le domaine de l’émotion (naïve) avoir le dessus sur celui de la raison. Fort heureusement, il s’agit là d’une des rares fausses manœuvres effectuées par le tandem de documentaristes.

Partiellement en raison de sa brièveté, le moyen métrage documentaire de Maroist et Ruel ne traite pas de certains thèmes-clefs touchant à l’existence même de l’usine de Bécancour. Toutefois, il faut surtout reconnaître que les coréalisateurs procèdent à une dénonciation des plus appropriée de l’exploitation de l’énergie atomique au Québec par le biais d’une description synthétique de l’activité du réacteur Gentilly-2 durant une période de vingt-cinq ans. Cela dit, la décision courageuse du gouvernement du Parti québécois consistant à fermer la centrale nucléaire de Bécancour rend les conclusions du film de Guylaine Maroist et Éric Ruel moins inquiétantes qu’elles auraient pu l’être pour la population québécoise. N’empêche que l’activité constante des centrales nucléaires en Ontario, au Pays de l’Oncle Sam ou ailleurs dans le monde devrait garder la population en éveil face à ce genre de péril. À défaut de cette nécessaire vigilance collective, une sombre menace pourrait bientôt planer sur notre avenir et sur celui des autres…

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