Compressions dans le domaine des arts
L’étranglement de la culture
Dossier : Contre l’austérité, luttes syndicales et populaires
La veille de la Saint-Jean-Baptiste, la ministre de la Culture annonçait des compressions de 2,5 millions de dollars au budget du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Joli coup bas pour les artistes : avec un peu de chance, au retour des vacances, tout sera oublié, pourrait-on croire. Mais ces coupes additionnées à d’autres auront des effets à long terme qui affecteront grandement la qualité de la vie culturelle québécoise.
Jusqu’à cette annonce surprise, les artistes s’étaient crus épargnés, rassurés par les propos de la ministre David qui se félicitait, il y a peu, d’avoir réussi à faire augmenter les crédits de son ministère. Cela même si d’un budget à l’autre, on refusait d’augmenter les enveloppes budgétaires des programmes qui les concernent spécifiquement, en leur présentant le maintien du financement existant comme une offre généreuse. Mais avec l’inflation et l’arrivée d’artistes toujours plus nombreux en quête de financement, il s’agissait en fait d’un recul progressif, grugeant les revenus et minant l’organisation du milieu.
Aux coupes effectuées au CALQ s’ajoutent d’autres compressions qui, dans leur ensemble, touchent durement le monde de la culture sur tout le territoire québécois : coupes budgétaires de 15 % dans les Conseils régionaux de la culture ; abolition des Conférences régionales des élus, qui géraient des enveloppes consacrées à la culture ; abolition de postes de délégué culturel dans les missions du Québec à l’étranger.
Une importante partie des compressions au CALQ, 550 000 $, touchent les associations d’artistes professionnelles reconnues en vertu des lois sur le statut de l’artiste, les organismes de services et les regroupements nationaux disciplinaires (danse, théâtre, musique, etc.). On s’attaque ainsi à la capacité des artistes de s’organiser et de se défendre. Ce choix du gouvernement libéral se prétend dans le droit-fil d’une stricte logique d’économie dans un contexte d’austérité. On ne peut s’empêcher toutefois d’y soupçonner une stratégie antidémocratique semblable à celle du gouvernement Harper qui a coupé ces dernières années les vivres à ceux et celles dont il ne veut pas entendre la parole.
Droits d’auteur
Déjà, le milieu artistique avait été affaibli par les changements de la Loi sur le droit d’auteur, dont on a complètement changé l’esprit. Cette dernière avait été conçue pour protéger les créateurs, ce qui se justifiait par leur contribution essentielle à l’éducation et à l’enrichissement culturel. Depuis la révolution informatique, le droit a basculé dans le camp des usagers, dont il faut protéger un accès aux contenus qui doit être le moins contraignant possible.
Tout ce qui relève de l’éducation peut maintenant être exonéré du droit d’auteur, et cela, sans que le terme « éducation » ne soit défini. Aujourd’hui, on calcule des pertes qui pourraient se chiffrer bientôt à 160 millions de dollars en versement de droits d’auteur à l’échelle du Canada.
L’accumulation de toutes ces pertes affecte durement les conditions de vie des artistes. Ces dernières années, le Québec a pu profiter d’une production dynamique et de grande qualité dans toutes les formes d’expression artistique. Cet apport a été essentiel dans l’expression de notre identité, nous a donné une excellente réputation à l’international et a créé des emplois diversifiés et stimulants. Ne risque-t-on pas de tout jeter à l’eau en refusant d’accorder à la culture, aux créateurs, à ceux qui les soutiennent, un appui financier adéquat ?
Une difficile résistance
Toutes ces compressions, et une forme de mépris qu’on peut deviner derrière le choix qu’elles impliquent, créée une grande morosité dans le milieu culturel. S’organiser et résister dans un tel contexte reste un important défi.
Plusieurs envient aux artistes leur accès à de nombreuses tribunes, qui leur permet, plus facilement qu’à d’autres groupes, d’exprimer publiquement leurs revendications. Mais ils doivent aussi faire face à d’importants préjugés. On ne voit souvent que les artistes les plus connus, qui ont en effet des revenus élevés et font figure d’enfants gâtés lorsqu’ils se lancent dans des revendications. Pourtant, la très grande majorité des travailleurs de la culture vivent avec des revenus très bas et connaissent des conditions de travail particulièrement précaires. Et c’est à eux qu’on demande de se priver davantage.
Les groupes de défense des artistes visent le budget de mars 2016 pour faire entendre leurs revendications. Leur objectif est de coaliser le milieu et de s’associer avec les producteurs et les gens de l’industrie culturelle, un mariage peu naturel, mais qui s’impose alors que tous sont touchés par les compressions. Il faudrait aussi que le milieu culturel se joigne aux autres mouvements sociaux, tout aussi victimes des plans d’austérité, comme le souhaite par exemple Christian Bédard du Regroupement des artistes en art visuel du Québec. Seul un grand combat collectif pourra faire reculer les libéraux.
Nos politicien·ne·s se bombent le torse dès qu’un de nos artistes remporte un important succès chez nous ou à l’étranger. Cette attitude ne sera plus que pure hypocrisie s’ils continuent à refuser de donner à la culture le soutien dont elle a absolument besoin.