Grèce
Le peuple grec, cette figure absente
Dans l’une des pires crises qu’a connues la Grèce dans son histoire récente, le peuple tient le rôle de simple figurant. Dans Le Monde, le philosophe allemand Jürgen Habermas s’indignait il y a peu de cette exclusion du peuple d’un drame où se joue pourtant son avenir : « Ce sont les citoyens, pas les banquiers, nous dit le philosophe, qui doivent avoir le dernier mot sur les questions touchant au destin européen. »
Le gouvernement grec a finalement plié l’échine devant les exigences du Fonds monétaire international (FMI) et le plan de sauvetage proposé au peuple hellénique. On n’a pas demandé à ce dernier son avis, ni même l’a-t-on mentionné dans le débat entourant son avenir ; tout juste a-t-on concocté un référendum pour connaître sa position à propos du plan de sauvetage « proposé » par les différents acteurs de la zone euro : le Fonds européen de stabilité financière, le FMI, la Banque centrale européenne, la France et l’Allemagne, pour ne mentionner que les plus importants.
Un référendum de papier
On se rappellera en effet que le premier ministre grec Alexis Tsípras avait pris la décision, en juillet dernier, de soumettre à un référendum le plan de sauvetage décidé par le concert européen. Il s’agissait de laisser au peuple l’initiative d’accepter, ou non, le plan de sauvetage consistant à imposer des mesures d’austérité devant permettre à la Grèce d’honorer ses dettes vis-à-vis de ses créanciers, les banques et les pays donateurs. Ces mesures consistaient, en gros, à une réduction de 900 millions d’euros dans les dépenses à l’aide sociale, à une limitation de l’âge des préretraites et leur gel jusqu’en 2021, à une réduction drastique des salaires dans la fonction publique, etc. Tout cela, sachant que les tentatives passées avaient abouti à des échecs cuisants, les plans d’austérité, corollaires des plans d’aide, ayant fait chuter le PIB de la Grèce de 25 % depuis 2009 et provoqué des vagues de récession récurrentes.
S’étant soldé par un puissant non recueillant 61 % des voix, le référendum du 5 juillet n’a eu pour conséquence qu’un renforcement du plan d’austérité préalablement conçu par les acteurs de la zone euro. Le semblant d’autonomie politique dont on a nimbé le peuple à l’occasion de cette consultation s’est transformé en négation pure et simple de celle-ci. Avec les élections de septembre dernier, le premier ministre grec a rejoué la carte du suffrage. Mais a-t-on laissé aux Grecs·ques une véritable possibilité de choisir ? La démocratie des urnes ne risque guère d’influencer les décisions prises par les plus hauts acteurs de la finance. Ces derniers sont les auteurs d’un scénario dont l’issue est indépendante de ce que désire le peuple, ce spectateur qu’on souhaite muet devant le drame où se joue son avenir.
Ce qui peut apparaître comme un paradoxe est en fait le résultat d’une logique impitoyable qui nie l’existence du peuple au nom d’impératifs répondant à l’urgence d’une situation ayant pour seule issue le sacrifice du plus grand nombre. C’est pourtant la population grecque, et nulle autre, qui pâtit des mesures d’austérité qu’on lui impose comme une nécessité vitale.
Une démocratie en déficit
Or, les leviers d’action permettant au peuple de répondre à la crise sont écartés au profit d’un mécanisme de régulation de la dette : les programmes d’ajustement structurel, qui s’inspirent de mesures imposées aux pays du tiers-monde dans les années 1980. De telles mesures ne tiennent pas compte de la réalité concrète et des souffrances vécues par les populations qui les subissent. Celles-ci deviennent alors des réalités anonymes, impersonnelles, devant répondre aux impératifs d’une logique imposant par la force des mesures auxquelles toutes et tous sont tenus d’obéir froidement. L’enjeu est crucial et il en va de la survie du monde tel que nous le connaissons, nécessitant l’abdication de la liberté du peuple au nom d’un ordre soi-disant naturel où la souffrance devient un mal nécessaire. Un constat s’impose avec force : cette crise met en évidence l’emprise qu’exerce le pouvoir désincarné du système financier sur la vie politique des gens, d’où le déficit non seulement financier, mais démocratique, qui affecte aujourd’hui particulièrement les populations d’Europe.
Lors du référendum de juillet et des élections de septembre dernier, on a donné au peuple grec l’illusion du choix. On a feint d’honorer sa présence sachant que l’issue était déjà tracée d’avance. Il n’est pas exagéré de parler d’une liberté sans paroles, car le peuple semble bien être ce grand absent du débat qui le concerne intimement.