Marie-Thérèse Forest

No 061 - oct. / nov. 2015

Féminisme

Marie-Thérèse Forest

Son parcours, ses combats

Noémie Bernier

Il y a de ces événements qui agissent parfois comme détonateur et influencent de manière durable notre trajectoire. Pour Marie-Thérèse Forest, l’élément perturbateur fut la tuerie en 1989 à l’École polytechnique de Montréal. Le dénouement ? Une implication sociale longue aujourd’hui de plus de 20 ans. Et pas n’importe où : dans l’une des plus belles régi­ons du Québec, la Gaspésie. Portrait d’une femme qui s’est dévouée à sa région d’adoption.

On entend souvent parler de grandes femmes telles Léa Roback, Madeleine Parent, Thérèse Casgrain ou Lise Payette. Elles ont contribué à bien des changements sociaux et politiques, tant au niveau muni­cipal que provincial. Qu’en est-il des femmes en région ? Plusieurs femmes qui méritent d’être connues de tou·te·s restent dans l’ombre. Marie-Thérèse Forest est justement l’une de ces femmes qui ont eu une influence décisive pour les commu­nautés de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine.

Montréalaise d’origine, elle a été conquise par la Gaspésie, autant par les gens que par les paysa­ges. Cette femme énergique et souriante a marqué la région d’abord en s’impliquant dans le développement de l’Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec, alors même qu’elle vivait dans la métropole, puis dans la radio communautaire de la Baie-des-Chaleurs ; elle a notamment coordonné un cours itinérant pour les animatrices et animateurs de radio tout en complétant une maîtrise en littérature à l’UQAM. Cependant, de toutes les causes que Marie-Thérèse a épousées, c’est celle des femmes qui a accaparé le gros de ses efforts et de son temps. D’ailleurs, cet engagement l’a fait connaître partout dans la province. Elle a participé, entre autres, à la Fédération du Québec pour le planning des naissances, à la Fédération des femmes du Québec dans le cadre de la Marche du pain et des roses en 1995 et, par la suite, à la coordination de la Marche mondiale des femmes au Québec.

Toutefois, c’est en Gaspésie que Marie-Thérèse s’est le plus investie. Le Collectif pour la santé des femmes à Rimouski et Femmes en Mouvement à Bonaventure en sont de bons exemples, mais c’est surtout sa participation à la mise sur pied de la Table régionale des groupes de femmes qui l’a mise à l’avant-plan des luttes des Gaspésiennes. Ainsi, elle a été la coordonnatrice de la Table de concertation des groupes de femmes de la Gaspésie et Îles-de-la-Madeleine pendant 17 ans. «  Je me suis rendue compte que j’avais vraiment travaillé toute ma vie à faire que les lois évoluent, que les mentalités changent ; puis que c’était de par ma participation dans des instances comme ça que je pouvais mettre mon grain de sel.  »

Depuis 15 ans, à la suite d’un accident survenu à Montréal, Marie-Thérèse est en fauteuil roulant. Pour elle, la Gaspésie était un choix plus simple pour vivre dans cette condition, au lieu d’être « perdue dans la foule ». Cela ne l’a pas arrêtée pour autant ; elle surmontera son handicap pour s’engager dans des luttes qui l’obligent à sillonner le vaste territoire de la péninsule gaspésienne !

Le sens de l’engagement

L’implication de Marie-Thérèse dans la société gaspésienne ne se limite pas aux quelques exemples cités plus haut ; pour elle, les combats contre la pauvreté et la détérioration de l’environnement font partie du féminisme. Elle les inclut donc à ses luttes au quotidien. Ainsi, elle s’est notamment engagée dans Tache d’huile, un mouvement d’information et de mobilisation sur le dossier des hydrocarbures en Gaspésie, ainsi que dans la lutte contre le projet d’installation d’un incinérateur de terres contaminées à Belledune au Nouveau-Brunswick, dans la baie des Chaleurs. « Je suis prête à aller me mettre devant un bulldozer avec mon fauteuil roulant, pis s’il veut passer par-dessus moi, il va m’écraser pis that’s it. »

Sur le plan politique, Marie-Thérèse a participé à la mise en place d’une structure de Québec soli­daire à Bonaventure et au mouvement Touche pas à ma région ! Gaspésie-Les Îles qui prône l’autonomie en matière de développement territorial.

La Gaspésienne d’adoption a une vision à long terme quant aux avancées sociales et politiques : il faut persévérer, ne pas baisser les bras car, comme on le sait, les changements n’arrivent pas en claquant des doigts. « Trente ans, c’est rien ! Un millionième de secondes sur l’axe de la vie de la Terre, pis encore… » Non seulement il faut oser et foncer, mais il faut aussi se défendre et conserver nos gains : « Retrouver des acquis, souvent, c’est plus difficile que d’en créer. » Elle s’indigne du contexte politique actuel au Québec, qui mine les acquis des femmes : il ne faut pas laisser l’austérité libérale nous les enlever !

Marie-Thérèse a reçu en 1998 le Prix Droits et Libertés pour la région de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine en reconnaissance de son impli­cation dans la lutte pour les droits des femmes. Cet honneur était remis par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dans le cadre du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Marie-Thérèse Forest est donc une fonceuse, une militante acharnée. C’est un exemple de femme qui a su, malgré les embûches de la vie, se battre pour ses valeurs, pour ce en quoi elle croit. Et la Gaspésie ne peut que lui en être reconnaissante !

La Table

Quelques mots sur l’instance que Marie-Thérèse a coordonnée pendant plusieurs années : la Table de concertation des groupes de femmes de la Gaspésie et Îles-de-la-Madeleine, force majeure pour les luttes féministes dans cette région. L’objectif de la Table est de souligner et d’accroître la place des femmes dans le développement régional durable. La Table offre un espace de discussion, un lien entre une dizaine de groupes de femmes et le mouvement féministe québécois. Son ancêtre est la Table de concertation des groupes de femmes de l’Est-du-Québec – la toute première table de ce genre au Québec – scindée en 1997 afin de mieux couvrir, séparément, la région du Bas-Saint-Laurent et celle de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine.

La Table utilise divers moyens pour véhiculer son message : capsules et tournées d’information, ateliers de formation traitant de plusieurs questions (santé, violence, appauvrissement, participation citoyenne, politique) en sont quelques exemples. La campagne pour encourager les femmes à se lancer dans un métier traditionnellement réservé aux hommes qu’elle a initiée, avec le soutien du ministère de l’Éducation, a eu des retombées importantes dans la région. La Table a aussi beaucoup travaillé sur l’analyse différenciée selon les sexes, qui outille autant les femmes que les hommes en leur permettant de comprendre une problématique et d’y travailler en conséquence.

Pour réaliser de tels projets, il faut de l’argent. La Table recevait un financement de base de 58 000 $ par année du ministère du Travail ; s’ajoutaient à ce montant les subventions provenant de quelques partenaires, notamment la Conférence régionale des élus Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, qui versait près de 30 000 $ à la Table. Toutefois, le contexte actuel rend l’avenir incertain. « Même le financement de base est incertain pour l’année à venir », nous a confié Mireille Chartrand, la nouvelle coordonnatrice de la Table. De plus, la Table se retrouve sans entente de collaboration, la dernière s’étant achevée le 31 mars 2015. « Ce n’est pas par manque de volonté, c’est le contexte politique.  » L’austérité menace les acquis des femmes ainsi que les groupes et instances qui les défendent, ce qui rend leur sauvegarde encore plus difficile. Toutefois, malgré ce portrait sombre, il ne faut pas en être le spectateur : il faut agir. En région comme en ville, c’est en luttant comme Marie-Thérèse que les mentalités et la situation des femmes vont changer. C’est elle qui d’ailleurs décrit le mieux l’histoire du mouvement des femmes en Gaspésie : « C’est intimement lié, ce que je suis et la job que j’ai faite dans ma vie pour les femmes. Je sens qu’il y a une énergie qui est un peu similaire, une énergie qui fait que j’ai envie de vivre, j’ai envie d’oublier que je suis en fauteuil roulant, puis j’ai envie de travailler pour que les femmes au pluriel et au collectif aient accès à de meilleures conditions de vie en général. Les mouvements des femmes au Québec et en Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine ont porté mon action. Il y a des centres de femmes qui existent dans la région depuis 25 ou 30 ans et qui travaillent pour que les femmes aient une voix politique et pour défendre leurs droits ; pour que des questions comme la pauvreté, les violences faites aux femmes prennent une tournure d’implication sociale et de participation citoyenne. Je pense que c’est pour cette raison que les groupes de femmes, les maisons d’hébergement aussi, travaillent à un développement collectif du mieux-être des femmes [1]. »


[1Femmes du Bout de la terre, (2014). Film de Gérald McKenzie.

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