Dossier : Le sport en ville - une appropriation citoyenne
Roller, genre et politique
Inventé en 1930, puis tombé dans l’oubli, le roller-derby connait aujourd’hui un regain de popularité, porté par des groupes issus de la culture alternative. En plus d’être une discipline hautement spectaculaire et réjouissante, ce sport bouscule les carcans de genre, expose la diversité et cultive la communauté.
Un sport en plein essor
Le roller-derby est un sport d’équipe féminin [1] , qui se pratique en patins à roulettes old school (pas ceux à roues alignées) sur une piste ovale. Le but du jeu est de marquer des points en réalisant des tours de piste sans se faire bloquer/pousser/éjecter de la piste par l’autre équipe [2]. C’est un sport de contact. Féminin. Et en plein essor. Montréal compte par exemple 6 équipes actives, la coupe du monde tenue en 2011 à Toronto a réuni 13 pays différents et le Comité Olympique considère actuellement l’admission de cette discipline aux jeux de 2020.
Comment expliquer un tel engouement ? Peut être par le fait qu’en plus d’être une discipline sportive exigeante, c’est aussi un sport-spectacle extrêmement divertissant, ancré dans une culture alternative qui résonne auprès d’un public interpellé par le rock, la contre-culture, l’atmosphère survoltée et les tickets abordables. La notion de spectacle est renforcée par l’animation (le flamboyant Plastic Patrick à Montréal), les costumes, les joueuses qui adoptent des noms de derby ironiques ou menaçants, souvent en lien avec la culture populaire, le queer, le mouvement riot grrrls… La métropole abrite par exemple, entre autres, Beth Rave, Charlotte Bruise- A- Lot, Bikini Skills et Al Strapone…On est loin de l’ambiance d’un match des Canadiens.
Mais au-delà du spectaculaire, le roller-derby est aussi une discipline qui fait un pied de nez à la place traditionnellement réservée aux femmes dans le sport subalterne. Subalterne au point de devoir parfois avoir recours à des campagnes publicitaires désespérées pour attirer sponsors, public et visibilité, comme l’équipe de soccer féminin française qui a posé nue avec le slogan « Faut-il en arriver là pour que vous veniez nous voir jouer ? ».
Un sport féminin « de contact » !
Avec le roller- derby, ce problème ne se pose pas car c’est en premier lieu un sport féminin. Mais qui n’entre pas dans la catégorie de ce qui est traditionnellement associé à la féminité. Car c’est un sport physique, de contact. Un sport qui met en scène une certaine agressivité. Qui peut être dangereux. Qui recrute dans ses équipes des jeunes, des moins jeunes, et toutes sortes de formats corporels. Un sport qui n’impose pas d’uniforme autre que le matériel de protection. Certaines patinent en minishort et bas résilles, d’autres se maquillent en zombies. Il y a des « femmes », des « butchs », des trans [3] .
C’est rafraichissant lorsqu’on compare cet exercice au monde du sport traditionnel qui accorde tant d’importance à la différenciation du sexe et du genre, au point de faire passer des « tests de féminité » (rappelez vous l’affaire Caster Semenya) et de chercher à imposer le port de la jupe dans certaines disciplines (boxe et badmington) – pour rendre le sport « plus esthétique » et pour différencier les athlètes (!) de leurs collègues masculins.
Dans une société où la performance est une prérogative masculine, la femme qui se dépasse dans la compétition et la puissance corporelle est suspecte, trop virile ; il faut la recadrer dans sa « féminité », dans son rôle d’objet de désir- hétéro bien évidemment ; ce que se chargent notamment de faire les médias lorsqu’ils présentent les sportives en robes de soirées, en train de se mettre du vernis à ongles ou dans leur intérieur ménager …
Au roller-derby, toute femme qui sait rouler et qui en a envie peut participer, quel que soit son rapport à la féminité traditionnelle. Ce sport encourage les femmes à être fortes, agressives, compétitives, tout le contraire de ce que la société leur enseigne. C’est un espace d’empowerment, qui pousse les joueuses à réaliser ce dont elles n’auraient pas pensé être capables. Un espace d’émancipation, d’affirmation, d’acceptation.
Une pratique communautaire et sociale
Il s’agit aussi d’un espace pour construire une communauté. L’enracinement du roller-derby dans la culture DIY (Do- It- Yourself) transparait dans les modes d’organisation de ce sport : la coopération, le recours à un réseau bénévole, l’hébergement solidaire, les soupers collectifs, les politiques d’accessibilité, le soutien financier par la vente de T-shirt, la production de sérigraphies, de macarons etc…C’est un sport pour et par les filles qui le pratiquent.
En ce sens, et au regard des politiques de genre qui l’habitent, le roller derby est résolument ancré dans la troisième vague féministe. Et que l’on chausse les patins ou qu’on encourage depuis les gradins, c’est toujours une occasion de passer un excellent moment.
[1] Des ligues masculines commencent à émerger.
[2] pour une explication plus précise des règlements, consulter http://mtlrollerderby.com
[3] Pour un article sur l’inclusion des trans dans le roller derby : http:http://briarpatchmagazine.com/articles/view/one-of-the-girls