La relance de la lutte sociale

No 045 - été 2012

Grève étudiante

La relance de la lutte sociale

Éditorial du no 45 - en kiosque

Le Collectif de la revue À bâbord !

Il est trop tôt pour proposer des analyses approfondies, et encore moins un bilan de la grève étudiante. Mais on peut déjà formuler un certain nombre d’observations sur la nature de cet événement extraordinaire qui rappelle, par certains aspects, le Mai 1968 français.

On notera d’abord qu’il s’agit sans doute, par son ampleur et son intensité, de la grève la plus longue et la plus massive que le Québec ait connue. Pour en trouver des équivalents, il faut évoquer des précédents aussi célèbres que la grève de l’amiante de 1949 ou encore les conflits qui ont marqué les années 1970 dans le cadre des fronts communs des syndicats du secteur public et dans le secteur privé (grève de Québec téléphone dans le Bas-Saint-Laurent, de United Aircraft à Longueuil, de Firestone à Joliette, de Commonwealth Plywood à Sainte-Thérèse, etc.).

Il faut signaler ensuite le caractère global de la lutte. Plus la grève se poursuivait, plus le discours des étudiantes s’étoffait et débordait du cadre de la simple revendication du gel des droits de scolarité : on prônait une éducation de qualité dans le cadre d’une critique du processus de marchandisation de la société et d’une défense de la nécessité des services publics pour assurer la solidarité sociale.

Il faut ajouter encore que les cyniques, à prétention de lucidité, qui proclamaient que les jeunes étaient devenus individualistes, confondant croissance de l’individualité avec individualisme, avaient tout faux. Contrairement à leurs prétentions, les jeunes se sont engagés collectivement sans jamais sacrifier leur individualité comme l’ont montré l’anarchie joyeuse de leurs manifestations, leurs foisonnants comités, leurs pancartes ludiques et imaginatives… Les extraordinaires dirigeantEs de leurs associations étaient leurs porte-parole, mais seulement leurs porte-parole, comme l’ont révélé leurs assemblées générales critiques et souveraines.

La durée de la grève s’explique autant par l’arrogance et le mépris dont a fait preuve le gouvernement à l’encontre des grévistes que par leur propre détermination. Il a fallu attendre dix semaines pour que ce gouvernement, qui semble avoir érigé l’autisme en nouvelle technique de gouvernance, daigne rencontrer les porte-paroles du mouvement et, encore, pour rompre les discussions sous un prétexte futile. Il a fallu deux autres semaines pour qu’une entente bidon soit concoctée, entente qui esquivait le fond du problème.

Ce large mouvement étudiant exprime un ras de bol contre un gouvernement libéral corrompu, autoritaire et au service des multinationales, notamment en ce qui concerne nos ressources naturelles. Il a d’ailleurs commencé symboliquement avec une action menée avec la Coalition contre la tarification et la privatisation des services publics devant la Bourse de Montréal. Comme le printemps arabe, les IndignéEs de Grèce et d’Espagne, le mouvement Occupy, la grève étudiante a donné chair à une alternative au capitalisme néolibéral et dessiné les contours d’une société solidaire. « Nous sommes tous des étudiants ! », tel était le titre du manifeste des Profs contre la hausse, premier et principal groupe à se former en appui aux grévistes.

Mais, au-delà de ce constat, si on lie la manifestation étudiante du 22 mars — la plus imposante depuis celles, en 2003, contre la guerre en Irak — à la Journée de la Terre du 22 avril et à la manifestation contre la loi 78 du 22 mai, se manifeste un rejet d’une mondialisation néolibérale qui sacrifie l’intérêt public au profit et à la productivité.

La grève étudiante, tout admirable soit-elle, a été très dure. L’État a sorti tout son arsenal répressif, judiciaire et policier pour mater une contestation forte et organisée. Ceux et celles qui ont été présents à Victoriaville et en Outaouais, notamment, pour résister à des directions serviles ou pour s’opposer à des injonctions, ont bien vu que les gains réels devraient se faire au coude à coude et pouce par pouce. L’adoption aberrante du répressif projet de loi 78 montre que le gouvernement n’hésite pas à se doter de tous les outils pour bâillonner les mouvements sociaux. Le gouvernement, par cette loi inique, a voulu mettre fin au soulèvement étudiant. Il faut résister, combattre cet antidémocratisme et élargir la lutte à tous les citoyens.

La grève sociale, dont plusieurs proclamaient la nécessité, et qui n’a pas encore trouvé d’expression concrète, devra être ramenée à l’ordre du jour du mouvement social. C’est une condition clé de l’élargissement de la lutte. Par ailleurs, sur le plan électoral, la radicalité des revendications du mouvement n’est pleinement prise en compte que par Québec solidaire qui a soutenu fortement et sans équivoque les étudiants depuis le début et qui, sur ce plan comme sur d’autres, pourrait incarner une alternative politique à la logique capitaliste dans sa phase néolibérale.

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