Présentation du dossier du no. 45
Le sport en ville
Pour une appropriation citoyenne
Le sport est à la fois un domaine à forte teneur symbolique susceptible de rassembler des masses importantes d’individus et un secteur qui appelle fréquemment de grands investissements en matière d’infrastructures. Dans des espaces urbains de plus en plus privatisés, aseptisés diront certains, c’est également par la pratique des sports que nous prenons possession de la ville, que nous en en détournons les règles ou que nous en exploitons toutes les opportunités. La pratique du sport fait sortir le citadin de chez lui et le force à utiliser l’espace public ou semi-public, de telle sorte qu’il entre en contact avec ses concitoyenNEs et négocie l’espace urbain entre ses propres pratiques et celles des autres, entre les fonctions prévues par les décideurs et les multiples détournements possibles : c’est une chose de s’assoir sur un banc public, c’en est une autre de négocier un trajet en vélo à travers le trafic de l’heure de pointe. Le marché, autant que les individus, instrumentalise le détournement à des fins sportives. Pensons au Red Bull Crashed Ice qui transforme les rues du Vieux-Québec en patinoire.
Lieu de négociation, mais lieu de rencontre avant tout, qu’il s’agisse de ligues de hockey de garage, d’écoles de soccer pour enfants ou de clubs de pétanque du troisième âge. Cela est d’autant plus important pour l’espace public urbain que celui-ci est de plus en plus vidé de sa substance délibérative. Il sert moins à la rencontre et à la négociation, plus au divertissement individuel consommé et à l’affrontement implicite ou explicite des goûts (de consommation !). Le sport devient ainsi cadre de tensions entre les identités et les solidarités influencées par les projets sportifs, les décideurs publics, les promoteurs, les partisans, les citadinEs et citoyenNEs.
De plus, les méga-évévements sportifs sont devenus un cadre d’action privilégié par le capital financier, d’autant plus que l’appel à la santé physique et le sentiment d’appartenance peuvent être instrumentalisés afin de légitimer des actions financières et urbanistiques qui autrement n’auraient pas la même acceptabilité sociale. Comme si la fête entourant les méga-événements sportifs avait trop longtemps été laissée aux citoyenNEs et aux petits commerçants, le grand capital s’assure de plus en plus une mainmise exclusive sur des pratiques sportives et partisanes qui ont pourtant toujours eu cours. Pour les administrations municipales souvent complices des promoteurs, cela est un instrument de plus dans la pratique de mise en marché de l’image de la ville dans le but d’attirer touristes et investisseurs, mais cela implique des choix difficiles dans les priorités budgétaires et, ultimement, sociales.
La question de l’ethnicité est aussi susceptible d’être vue sous la lorgnette du sport et aurait pu être explorée davantage dans notre numéro. N’y a-t-il pas des sports préférés par des groupes ethniques particuliers ? Le basketball n’est-il pas massivement noir alors que P.K. Subban détonne encore parmi les joueurs de la LNH ? L’histoire du baseball n’est-elle pas également l’histoire de la lutte pour l’accès à l’égalité des Noirs et Montréal ne se vante-t-elle pas aujourd’hui d’avoir été la première à compter un joueur de baseball professionnel noir ?
On aurait pu parler de mille choses encore. Par exemple, du rôle fondamental des organisations communautaires et du bénévolat dans la réalisation d’activités sportives relevant davantage de l’économie sociale que de l’économie de marché : camps de jour, clubs optimistes, galas de lutte en sous-sol d’église, cours du samedi matin... Qu’en est- il du vélo, du jogging, et de la compétition permanente de ces modes de transport avec la voiture ? Pourquoi certains individus adoptent davantage une pratique sportive pour se déplacer dans l’espace urbain, et qu’est-ce que cela signifie en termes d’aménagement de l’espace ? La cohabitation est-elle-même possible ou doit-on au contraire envisager une lutte à finir ?
Et le jeu dans tout cela ? La pratique sportive semble de plus en plus accomplie exclusivement en fonction d’un idéal esthétique et de lutte contre le corps vieillissant dans un monde où l’apparence a tant d’importance. Mais ne recèle-t-elle pas un potentiel transgressif de par sa nature ludique ? Le plaisir situé dans l’action même, une fin en soi, accessible à tous à peu de frais ne va-t-il pas à contre sens d’une marchandisation omniprésente ? La libération des sérotonines, endorphines, testostérone et que sais-je encore se mêle au sentiment d’accomplissement, à l’esprit de corps et à l’expression de la liberté. En somme, dans un univers où l’individu bataille sans cesse, le sport et la façon dont on le pratique sont plus que du loisir : c’est une prise de position.