International
La Barbe !
Activisme féministe
Figurez-vous un homme discourant devant une assemblée d’autres hommes (cela n’est pas une situation bien difficile à imaginer). Figurez-vous que pendant que cet homme parle, une femme se lève… et qu’elle porte une fausse barbe. Multipliez cette femme par cinq, six, dix ou plus, et imaginez maintenant les réactions du public et de l’orateur.
Voici le déroulement typique d’une intervention du collectif d’action féministe La Barbe qui sévit en France depuis 2008 : des femmes à barbe envahissent régulièrement conseils et assemblées pour dénoncer l’absence systématique des femmes dans les lieux de pouvoir, qu’ils soient politiques, économiques, culturels ou autres. « Pour exprimer leur ras le bol haut et fort, les femmes ont décidé d’investir, barbues, tous les hémicycles, toutes les antichambres, tous les lieux du pouvoir des hommes […] Quand les femmes auront du pouvoir, on verra bien ce qu’elles en feront ; en attendant, qu’elles le prennent. » [1]
C’est ainsi qu’une brochette de femelles affublées d’une pilosité de toute évidence synthétique se lève en silence et occupe le devant de la scène pour faire face à la mâle assemblée. Le mot d’ordre est d’être dignes, voire hiératiques. Une rangée de rocs (mais avec une fausse barbe). Arrive ensuite le discours. « Merci Pierre, Paul, Jacques (noms des responsables et présidents divers et variés… invariablement masculins) d’avoir su préserver les valeurs de cette noble institution. Félicitations ! Chapeau ! Mais attention ! On note qu‘il y a tout de même x % [2] de femmes qui ont réussi à s’infiltrer parmi vous : prudence ! »
C’est ensuite le départ – toujours digne (à moins que les services d’ordre n’y mettent du leur) – et l’opération distribution de tracts, plus ou moins bien reçus.
Le déroulement des actions de La Barbe obéit à un scénario bien précis, créé pour mettre les cibles face à leurs codes, leur autosuffisance : « Pour en être, il fallait du poil au menton. » Quand on enfile sa barbe pour la première fois en public, connaître le déroulé de l’action est rassurant, même si la grande inconnue reste la réaction des « victimes ». Si l’action est placée sous le signe de l’ironie, les revendications n’en restent pas moins sérieuses. « [3] » [4]
L’une des autres « spécialités » du collectif est le « barbage » des monuments nationaux qui est devenu pour ses membres une tradition de la fête nationale. Le 14 juillet est ainsi une occasion pour les barbues de l’Hexagone d’escalader les monuments à la gloire de la République française afin de parer Liberté, Égalité et Fraternité (sans parler des autres égéries…) d’une barbe de bonne taille que les autorités auront beaucoup de mal à ôter : plus longtemps la barbe reste visible, plus l’action est réussie !
Depuis 2010, les barbes fleurissent en province et même à l’étranger, par exemple au Mexique, au Danemark. La centième action, qui s’est déroulée le 14 décembre 2011, fut internationale, épidémique comme le souhaite le manifeste. Devenir une barbue est en effet facile : le collectif est, comme l’indique sa page Web, en « self-service ». Que l’on veuille participer à une action, créer un groupe local, discuter ou juste suivre les actions du groupe, il suffit de consulter le site du collectif où l’on trouve, entre autres, des vidéos des actions, le manifeste et le kit de la parfaite féministe.
À venir : en vue des prochaines élections présidentielles, La Barbe lance une campagne d’affichage ouvrant une souscription afin de soutenir les partis politiques qui auraient besoin d’aide pour réunir le montant des amendes à payer en raison de leur non-respect des lois sur la parité. Les affiches fleurent bon la troisième république et invitent le lecteur à souscrire pour le maintien de la suprématie masculine…
Pour plus d’informations, consultez le www.labarbelabarbe.org
[1] Manifeste de La Barbe (8 mars 2008)
[2] Remplacez x par n’importe quel nombre en dessous de 20. Voire par un chiffre.
[3] La Barbe entend dénoncer l’hégémonie et le monopole du pouvoir, du prestige, de l’argent, des privilèges par quelques milliers d’hommes blancs en ringardisant leurs codes, leurs valeurs, leur esprit de corps.
[4] Principes de La Barbe.