Désobéissance, j’écris ton nom...

No 045 - été 2012

Loi 78

Désobéissance, j’écris ton nom...

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Normand Baillargeon

Le 18 mai 2012, alors que la grève étudiante s’éternise et qu’on n’y trouve pas d’issue, l’Assemblée nationale du Québec, à la demande du gouvernement Charest, adopte à 68 voix contre 48 une loi spéciale depuis connue sous le nom de Loi 78. Cette « Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent » a aussitôt soulevé un tollé de protestations et a très vite été judiciairement contestée. Au moment de mettre sous presse, nous ne connaissons pas encore le résultat de cette contestation. Mais nous savons au moins deux choses qu’il nous paraît nécessaire de rappeler ici avec insistance.

Une loi inique, presque unanimement décriée

La première est que cette loi a réussi le tour de force de réunir contre elle les voix quasi unanimes des personnes et des organismes les mieux habilitées à se prononcer sur le sujet.

C’est ainsi que le professeur Dominique Clément, spécialiste de l’histoire des droits de la personne, affirme n’avoir «  jamais vu quelque chose de semblable au Québec ou au Canada », que l’historien J. C. Panneton établit un troublant parallèle avec les lois antisyndicales 19 et 20 du régime de Duplessis et qu’un collectif de professeurs et d’historiens a signé dans Le Devoir un texte parlant de « loi scélérate » et d’une infamie frappant au « cœur de la démocratie ».

Plusieurs dizaines de professeurs et professeures de droit ont pour leur part décrit dans Le Soleil la Loi 78 comme « un odieux détournement de l’esprit des chartes », portant atteinte « au socle sur lequel notre société démocratique est bâtie ». Quant au Barreau du Québec, il a formulé de « sérieuses inquiétudes » et dénoncé la «  juridiciarisation des débats ».

On continuerait sans mal cette énumération. Et le fait est qu’il y a en effet de quoi s’inquiéter tant cette loi, qui marque une étape de plus – celle où on cherche encore plus à susciter la peur – dans la tentative de dissolution du politique dans le juridique, tant cette loi, donc, met possiblement à mal, voire viole, des droits aussi fondamentaux que ceux de réunion, de mouvement, d’action collective, de conscience, d’expression et de manifestation pacifique.

Une saine réaction de la société civile

Il faut cependant croire que ces craintes ont été entendues et qu’elles sont partagées par de très nombreuses personnes qui ont, sagement, choisi de ne pas attendre le jugement des tribunaux avant de faire connaître leur position.

La société civile, et c’est fort heureux, à coups de concerts de casseroles inspirés de semblables protestations au Chili, se soulève en effet massivement contre la Loi 78. Cette protestation, sous le signe de la désobéissance civile, est une réaction salutaire et un vibrant témoignage de la capacité d’indignation de la population québécoise. Elle est, à n’en pas douter, du meilleur augure pour la santé de notre démocratie.

La logique de la désobéissance civile, qui se met ici en marche, est simple à comprendre. Elle repose sur l’idée qu’il nous faut toujours, en droit, garder ouverte la possibilité que le légal et le légitime ne coïncident pas et qu’un écart puisse exister entre l’un et l’autre. La menace de despotisme commence à planer dès lors que, sous quelque prétexte que ce soit, cet espace est donné pour irrémédiablement fermé et décrété ne pouvoir exister.

En réagissant comme elle le fait, la société civile du Québec démontre qu’elle n’a pas perdu cela de vue, nonobstant les hauts cris lancés par une coterie de journalistes et de quelques autres, et qu’elle juge, avec raison selon nous, que cet écart est dans le cas présent si grand qu’il appelle une énergique réponse de sa part.

Avec mes concitoyens, j’écris donc, de ma plus belle écriture : désobéissance civile.

Et je sais fort bien où l’écrire : juste à côté du mot liberté.

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