Dossier : Le sport en ville - une appropriation citoyenne
La coupe est pleine
Mundial et Jeux olympiques à Rio de Janeiro
Le film de Fernando Meirelles (The Constant Gardener ; Blindness) présentant la candidature de la ville de Rio auprès du Comité international Olympique (CIO) avait quelque chose de magique. En 2 minutes et demie, Rio y est présenté comme une ville où la pratique des sports, de l’escalade à la natation en passant par le volleyball et le vélo, cohabite avec l’urbanité la plus vibrante dans une complète convivialité. Lorsque Rio a obtenu les Jeux olympiques de 2016, le 2 octobre 2009, c’est comme si une partie de la magie avait acquis une existence réelle. Tout comme en octobre 2007, au moment où le Brésil obtenait la Coupe du Monde FIFA 2014, cela a soulevé l’enthousiasme dans toutes les couches de la population. Pouvait-on être contre la Coupe du Monde dans un pays si fortement associé au soccer ?
C’est plus tard que bien des acteurs de la société civile ont déchanté. D’abord, sur l’importance des concessions faites au CIO et à la FIFA et aux coûts associés aux infrastructures et multiples projets liés aux deux événements. Les jeux panaméricains de 2007 avaient déjà laissé des installations vétustes avant même d’être réaffectées à d’autres usages, et, au fil du temps, il est apparu que la rénovation du mythique stade Maracana (de même que la construction de 11 autres stades, dont certains dans des villes qui n’ont pas de marché pour soutenir leur occupation à long terme comme à Cuiaba et à Manaus), la construction de trois autoroutes, la réhabilitation du port et les politiques urbaines hygiénistes semblent être un prix élevé à payer. Prix qui ne cesse d’ailleurs d’augmenter : on évoque le chiffre de 100 milliards de Réal (54$ canadiens environ), 170% d’augmentation depuis l’estimation de 2009…
Ville à vendre
Lorsque le CIO et la FIFA investissent une ville, ils le font pour des raisons précises : l’ouverture d’un marché sud-américain, plus particulièrement brésilien, émergent, certainement, mais aussi l’appropriation de ce qui constitue historiquement le bien commun de la ville. À Rio, il ne s’agit donc pas uniquement de se doter d’un lieu destiné à la tenue d’un événement ; on recherche un espace dont on pourra mettre en marché les avantages autrefois publics et l’image mondialement connue. Un peu de Samba et de bikinis, pour clichés qu’ils soient, ne nuiront pas à faire mousser la vente, et l’espace public urbain de la métropole culturelle brésilienne recèle d’autres avantages.
Pour preuve, l’article 11 de la Lei geral da Copa (Loi générale de la coupe du monde) adoptée en mars, interdit la vente de biens et de nourritures dans un rayon de deux kilomètres autour des sites événementiels. Cette mesure prive de revenus des milliers de vendeurs ambulants qui auraient pu profiter de l’achalandage touristique durant les compétitions et transforme l’espace urbain en gigantesque réserve de clientèle captive pour les commanditaires.
En outre, l’article 37 prévoit également la formation de tribunaux « spéciaux » pour le traitement des jugements et des requêtes en lien avec les événements : événement spécial signifie également système de justice d’exception. Le même type de contrat lie le gouvernement brésilien avec le CIO. L’Acte olympique (loi 12.035), adopté par le gouvernement fédéral en 2009. légifère sur les lois d’immigration et octroie des pouvoirs unilatéraux et « extraordinaires » au gouvernement brésilien avant et pendant les compétitions. Il peut, entre autres, intervenir dans le cadre de n’importe quel contrat public, si cela est fait dans le but d’optimiser les performances des J-O. Cette clause est utilisée pour privatiser des biens immobiliers publics en les transférant au Comité olympique brésilien (COB). De plus, l’Acte Olympique prohibe l’utilisation de symboles ou de slogans se rapprochant de ceux proposés par le CIO, à des fins artistiques ou commerciales, encore une fois limitant les profits que pourraient retirer les petits commerçants informels.
Ces exceptions servent à légitimer des aberrations comme l’expulsion des citoyens de Villa Autodromo à deux pas du Village olympique, qui détenaient pourtant des titres légaux. En 1994, l’État de Rio a en effet accordé aux 4000 résidents un bail de 99 ans et a désigné le secteur « Zone spéciale d’intérêt social ». On peut évoquer encore des édifices abandonnés du port, de propriété fédérale, qui devraient selon la constitution être voués au secteur public advenant leur reconversion. Or on en fit presque cadeau au privé qui, du coup, expulse des familles entières qui avaient colonisé les interstices abandonnés depuis des décennies. On mettra également en marché les Favelas, espaces urbains laissés libres si longtemps. Un oubli passager du capital, somme toute.
La Favela des uns, la communauté des autres
La Favela est appelée « comunidade » par ses habitants. La communauté. C’est le fruit de la débrouillardise d’une couche de la population qui a été rejetée à la marge de la vie politique brésilienne depuis plus de 50 ans. Autrefois, c’était un lieu possible d’habitation pour des paysans renvoyés des campagnes. Aujourd’hui eux-mêmes et leurs enfants occupent toujours ces espaces à la marge. La comunidade illustre d’abord et avant tout l’échec d’une politique urbaine mal adaptée à la situation socio-économique. Ce n’est pas le produit de la conquête territoriale d’un mafieux sans scrupule ni un espace de violence gratuite ni le triste milieu de vie de victimes impuissantes, mais bien la solution improvisée, construite de toutes pièces, par des groupes sans accès au pouvoir politique, face à un développement urbain qui les a obstinément ignorés et qui continue de le faire.
On oublie trop souvent de mentionner que les communautés de Rio de Janeiro sont très souvent composées de maisons de briques, que plusieurs rues sont pavées, que des formes de transports collectifs informels et formels y sont mises en place, qu’une économie s’y est développée, que des écoles et des services de santé s’y sont établis. Tout cela presque toujours suite au travail de leur population et en dépit de l’État et de ses institutions.
Bandes criminalisées et policiers
Lorsqu’on parle des bandes criminalisées qu’on y trouve, on ne mentionne pas qu’il a été démontré que plusieurs habitants des communautés préfèrent leur présence à celle de la police. C’est ce qu’ont révélé les consultations publiques menées dans les communautés dans les années 1990 par Luiz Eduardo Suares, alors secrétaire à la sécurité publique de Rio de Janeiro. Les bandes passent pour avoir des règles claires. On ne sait jamais, par contre, quel nouveau prétexte les policiers trouveront pour extorquer, rudoyer, agresser jeunes et moins jeunes. La situation n’a pas changé aujourd’hui. Le système judiciaire brésilien, rongé par la corruption, n’arrive pas à assurer une sécurité publique qui soit égale pour tous. Des milices formées de membre des forces de l’ordre animent dans les communautés un racket de la protection qui ne terrorise pas uniquement leurs habitants d’ailleurs. Lorsque la juge Patricia Acioli a été tuée en juillet 2011 à Niteroi, en banlieue de Rio, les balles utilisées étaient celles d’un bataillon de la police militaire et c’est un haut gradé de cette police qui fait face à un procès relatif à cette affaire.
Sécurité publique et expulsions
Ainsi, le Choque de ordem, l’opération majeure de « sécurité publique » menée par les force de l’ordre dans les Favelas depuis près de 2 ans, est perçu par plusieurs comme une stratégie de ce système corrompu pour s’approprier les avantages que procurent les communautés… et il y en a ! Les montagnes où sont situées les communautés occupées par la police sont celles qui sont situées entre les quartiers les plus riches de la ville (et du monde, à bien des égards). Ce sont aussi celles qui ont les plus belles vues sur la mer et sont les plus proches des sites des J-O et de ceux de la coupe du monde de soccer. Ces deux événements servent de justifications à une série d’expulsions (150 000 au Brésil apprenait-on les 27 et 28 août 2011 au sommet des Comités populaires de la coupe du monde et des olympiques à Brasília). Lorsqu’on intensifie la présence militaire dans les communautés, l’existence des narcotrafiquants sert de légitimation à une opération beaucoup plus vaste de mise en marché de cette partie de l’espace urbain à l’approche de ces deux méga-événements.
Dans ce contexte, Raquel Rolnik, rapporteuse spéciale de l’ONU sur le logement, a déposé en mai 2011 un rapport où elle révélait la gravité de l’atteinte aux droits des habitants de ces communautés à qui aucune information n’est donnée quant aux intentions de la ville. Lorsque la justice décide d’expulser une famille de sa demeure, l’ordre est effectif immédiatement et aucune information n’est donnée quant à savoir où et dans quelles conditions les expulsés se retrouveront. Face à cela, il y a quelque temps déjà que les Cariocas les plus pauvres se demandent ce qu’ils ont à gagner des J-O. et de la Coupe du Monde.
En 2011, deux ans après que le court métrage de Meirelles ait été utilisé par le comité olympique brésilien, deux chercheurs pourtant extrêmement critiques des jeux et de leurs effets sur la société carioca et sa ville m’expliquaient à quel point ils avaient été eux-mêmes émus par le film. Lorsque se tiendra la Coupe du Monde, lorsque la flamme olympique traversera la ville, les images retransmises en direct à travers le monde laisseront-elles voir cet urbanisme bousculé, traversé par les tensions et les inégalités ou, comme dans le film de Meirelles, fera-t-on uniquement briller les plus beaux atours de Rio ? Ces atours qui étaient publics et qui seront alors à vendre ?