Grève étudiante
Les échos du passé sur la gratuité scolaire
« 93 % de nos enfants n’iront jamais à l’université ! » Telle était la phrase-choc clamée en juin 1960 par une publicité du Parti libéral du Québec parue dans le journal L’Enseignement. Cette phrase tirée du rapport Lefebvre produit en avril 1960 précède le rapport Parent, dont le premier tome est déposé en 1963. Jean-Paul Lefebvre [1], qui signe le rapport du même nom, est considéré comme faisant partie de la « minorité dynamique » qui, lors de la Conférence provinciale sur l’éducation tenue à l’Université de Montréal en février 1958, réussit à promouvoir la question de la gratuité scolaire à tous niveaux à la catégorie des problèmes urgents [2]. Le rapport Parent, pour sa part, réitère, en 1966, l’idée de la gratuité scolaire à l’université pour les étudiantes et étudiants québécois dans sa 115e recommandation : « Nous recommandons qu’au niveau universitaire, bien que la gratuité scolaire soit souhaitable à long terme, les frais de scolarité soient maintenus. » Cette recommandation stipule clairement que la gratuité scolaire est souhaitable à long terme. Encore aurait-il fallu penser se donner les moyens de la mettre en place et diminuer au lieu d’augmenter progressivement les frais de scolarité.
Le chanoine Lionel Groulx, qui fait une recension du rapport de l’Archiviste de la Province de Québec (1959-1960) publiée dans la revue d’histoire de l’Amérique française en 1961, écrit : « Ces rapports sont toujours impatiemment attendus. C’est qu’ils ne trompent jamais chercheurs et historiens. » D’autres rapports, dont le rapport Lefebvre (1960) ou le rapport Parent (1963-1966) tromperaient-ils alors citoyens ou politiciens avertis ? On en doute. Il faut simplement qu’ils soient avertis au sens d’informés, alertés et prévenus. Puis, il termine avec : « Souhaitons que la coutume devienne une invariable tradition. » En effet, pourquoi ne pas puiser dans les sources du passé pour alimenter les débats au c ?ur de l’actualité ?
C’est donc le rapport Lefebvre de 1960 qui avance que plus de 93 % des enfants du Québec n’iraient pas à l’université dans l’état actuel des choses ! Puis, le Parti libéral du Québec (PLQ) de l’époque se saisit de cette information-choc pour mousser sa campagne publicitaire électorale. Dans ce contexte, le PLQ propose donc de grands changements, notamment en éducation. On peut d’ailleurs lire dans cette publicité que la solution libérale apporterait la « gratuité scolaire totale – de la petite école à l’université inclusivement – pourvu que l’étudiant ait le talent et la volonté requis ». Jean Lesage, à la tête de ce parti, se fait élire en juillet 1960 et demeurera au pouvoir jusqu’en 1966. C’est sous son règne que sera entreprise une vaste réforme de l’enseignement public et créé le ministère de l’Éducation en 1964 dans les suites des nombreuses recommandations du rapport Parent.
Pourquoi l’idée de la gratuité scolaire s’est-elle envolée ? S’est-elle usée avec le temps ? Un peu à l’image de la pierre des monuments historiques qui s’effrite sous les mauvaises conditions atmosphériques. Trop de pollution dans l’atmosphère politique aujourd’hui ? Pourquoi ne pas oser la remettre à l’ordre du jour ? De peur de froisser ou d’indisposer le gouvernement en place et les biens nantis du Québec ? Un retour à l’histoire est pourtant souvent souhaitable pour construire l’avenir de manière éclairée.
[1] Jean-Paul Lefebvre est commissaire d’école à la Commission des écoles catholiques (CECM) de 1961 à 1964 et est élu député libéral dans Ahuntsic en 1966. Il ne s’est pas représenté aux élections de 1970. Il rédige en 1963 Commentaires personnels de M. Jean-Paul Lefebvre en marge du mémoire de la CECM à la Commission royale d’enquête sur l’enseignement.
[2] Pour en savoir plus, voir Mellouki et M’hammed (1989), Savoir enseignant et idéologie réformiste. La formation des maîtres (1930-1964), Institut québécois de recherche sur la culture, p. 214.