Dossier : Cégeps. 50 ans d’existence
La grève et ses soirs vaporeux
Mon passage au cégep a été marqué par la grève étudiante de 2012 et par mon implication comme président de l’association étudiante du Collège d’Alma. Le cégep était déjà une expérience riche en apprentissages pour moi et mes collègues étudiant·e·s. Nous formions une véritable communauté d’apprenants provenant de disciplines scolaires totalement différentes : sciences naturelles, sciences humaines, littérature, musique, arts, ébénisterie, métallurgie, informatique, agriculture, etc. Comme nous étudiions alors dans un petit milieu et que nous nous connaissions déjà pour la plupart avant notre entrée au cégep, nous ne vivions pas notre parcours scolaire en vase clos comme aurait pu faire en sorte le découpage en programme d’études. Le soir venu – et parfois sous influence de lubrifiants sociaux – nous rêvions de changer le monde, nous discutions d’œuvres d’art et de morceaux musicaux, nous développions des projets de toutes sortes, mais surtout, nous essayions de trouver ce qui faisait ou devait faire sens pour nous.
La grève étudiante – et toute la période d’effervescence qui l’a précédée et qui l’a suivie – a été très stimulante pour nous toutes et tous. À travers notre militantisme et face à des situations dans lesquelles nous ne pensions pas nous retrouver, nous avons développé des habiletés pratiques et appris à comprendre le monde tel qu’il se présentait à nous. Lorsque nous avons gagné notre vote de grève, je me rappelle un professeur qui m’avait alors dit : « Maintenant, c’est le vrai apprentissage qui va commencer. » La formule était peut-être un peu cliché, mais cela n’enlève rien à sa véracité.
Une politisation accélérée
Il n’est pas commun pour des jeunes de 18 ou 19 ans de faire les manchettes des journaux locaux et nationaux, de négocier avec des directions scolaires, de confronter les forces policières et de se retrouver devant les tribunaux. C’est peut-être encore moins commun lorsque cela est fait au nom de l’affirmation de principes politiques. Notre naïveté et notre inexpérience nous ont parfois causé de mauvaises surprises. À certains moments par contre, cette naïveté s’est révélée une force : faute de savoir qu’une entreprise était risquée, voire quasi impossible, nous mettions nos plans à exécution et, parfois, nous arrivions à réussir. Les apprentissages de la grève ont été aussi très pratiques à certains égards ; c’est grâce à la grève que j’ai appris à me servir d’un agenda !
Même si nous vivions dans un petit milieu dans lequel il était beaucoup plus probable que l’on se connaisse, la grève a eu un effet rassembleur incroyable qui a fait sauter des barrières invisibles qui pouvaient nous isoler. Aujourd’hui, lorsque nous parlons de la grève entre ancien·ne·s camarades, c’est cet effet rassembleur qui revient d’abord à notre souvenir. Tous les matins, les piquets de grève pouvaient rassembler environ 300 personnes, pour un cégep totalisant 1000 étudiant·e·s. Au-delà du contact humain, la grève a aussi créé des divisions qui pouvaient dépasser les murs du cégep. Ma propre sœur, alors au secondaire, avait dans sa classe la sœur de la personne qui a déposé l’injonction contre notre grève. Dans mon cas, cette division a aussi précipité l’exode de ma région natale.
Aujourd’hui, les effets de la grève sont difficilement perceptibles à Alma, la plupart d’entre nous ayant quitté la ville pour nos études. Néanmoins, cinq ans après la grève, nous commençons tranquillement à revenir de notre exil temporaire et, qui sait, peut-être que les projets imaginés durant les soirs vaporeux de notre jeunesse étudiante finiront par se réaliser.