Jacques Keable
Québec-Presse. Un journal libre et engagé
Jacques Keable, Québec-Presse. Un journal libre et engagé, Montréal, Écosociété, 2015, 170 pages.
Témoin de l’intérieur, un brin conteur et tendrement critique, Keable relate la brève aventure de cet hebdomadaire autogestionnaire qui paraît de 1969 à 1974. Soutenu par les syndicats, Québec-Presse brasse la cage alors que la Révolution tranquille devient « insupportablement agonisante ». Pour « bloquer la route aux fossoyeurs des acquis », ces compagnons de route auront eu plus d’ambition que de moyens. Ils livrent une information à contre-courant, en phase avec les luttes syndicales, indépendantistes et féministes, dans un format populaire, parfois baveux et assurément dérangeant pour le pouvoir établi.
Québec-Presse attaque les politiciens corrompus, Power Corporation, l’antisyndicalisme rampant et même « les propos haineux véhiculés par une presse au service des forces de droite ». Or, ses pires ennemis viendront de son propre camp. En effet, la garde rapprochée de René Lévesque, ces péquistes « mal à l’aise avec la gauche », fonde le quotidien Le Jour pour lui piquer son lectorat et ramener les brebis égarées dans le droit chemin d’un indépendantisme « du genre plutôt dégriffé », c’est-à-dire coupé des luttes sociales. Autant de cibles et d’ennemis dont la gauche d’aujourd’hui a tristement hérité.
On soupire d’aise à la mort du journal. La mesquinerie d’un Claude Ryan, à la barre du Devoir, parle d’un sort bien mérité pour ce « culte pratiquement illimité de la liberté ». Les péquistes, eux, deviennent étapistes et l’industrie de l’information n’aura plus à craindre la tentation autogestionnaire. S’accoutumer à moins de liberté a effectivement un prix très élevé.