Dossier : Cégeps – 50 ans d’existen

Dossier : Cégeps. 50 ans d’existence

Harmoniser le système aux valeurs néolibérales

Jean Bernatchez

Les politiques publiques sont des programmes d’action inspirées de valeurs et de normes. Elles mettent de l’ordre dans la société et dans chacun de ses espaces. Un référentiel est un paradigme sociétal qui rend légitime cet ordre global et sectoriel. Le référentiel néolibéral se traduit sur le plan administratif par la nouvelle gestion publique (NGP) et il se décline en éducation grâce à l’assurance qualité et à l’approche par compétences.

Du mode bureaucratique à la NGP

Deux modes d’administration publique se déploient au 20e siècle. Le mode bureaucratique [1] a pour fondement la domination légale (plutôt que traditionnelle ou charismatique). Il s’inspire de l’État de droit et repose sur le principe de la hiérarchie des normes (au sommet se trouve la constitution et viennent ensuite les normes relatives aux lois, aux règlements, aux directives) et sur celui d’impersonnalité des règles, qui élimine l’arbitraire. Le terme « bureaucratie » devient péjoratif à cause des problèmes structurels que ce mode engendre (lenteur, immobilisme) et qui mènent à la technocratie, cette forme de gouvernement où les expert·e·s conditionnent la prise de décision.

La première expression de la NGP en réaction au mode bureaucratique s’observe dans la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher et dans les États-Unis de Ronald Reagan avant de s’imposer dans le monde, entre autres au Québec à compter des années 1990. Sa caractéristique est l’attention portée aux processus avec l’adoption de méthodes inspirées du secteur privé. Les moyens priment alors les fins : les institutions orientées vers le bien commun se transforment en organisations qui veulent répondre aux besoins de leurs clients. Parmi les fonctions de la NGP se profilent la gestion axée sur les résultats, la planification stratégique, la contractualisation, la décentralisation, la reddition de compte, l’externalisation de services et la réduction des déficits [2].

La NGP en éducation au Québec

Au Québec, la Loi sur l’administration publique de 2000 consacre l’institutionnalisation de la NGP dans tout le réseau public. De manière spécifique à l’éducation, des modifications successives à la Loi sur l’instruction publique rendent opératoire la gestion axée sur les résultats qui est, selon la novlangue gouvernementale, « une approche fondée sur des résultats mesurables, répondant aux objectifs et aux cibles définis préalablement en fonction des services à fournir ». Une panoplie d’instruments est créée pour donner suite à cette volonté dans le réseau scolaire, aux niveaux préscolaire, primaire et secondaire.

Au niveau collégial, le Conseil des collèges veille à la cohésion du réseau, mais il est remplacé en 1993 par la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial, qui introduit l’assurance qualité. Au même moment, les universités se dotent d’une « politique d’évaluation périodique des programmes » qui consacre les normes à partir desquelles tous les programmes d’enseignement doivent être évalués selon des critères de pertinence et d’efficience. La pertinence se décline en termes scientifiques (par rapport aux développements récents du comparables, dans une perspective de complémentarité) et institutionnels (par rapport à la planification stratégique de l’établissement). S’ensuit une professionnalisation graduelle des programmes universitaires puisqu’ils doivent contribuer de manière efficiente (la qualité au moindre coût) aux besoins du marché.

La nouvelle gestion publique est promue par des organisations internationales comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Banque mondiale. Les politiques publiques ne sont plus pensées comme des outils d’émancipation nationale, mais comme des instruments d’ajustement structurel. L’évaluation, composante centrale de la NGP, s’institutionnalise dans tous les systèmes éducatifs [3]. Comme « science agissante », elle vise à adapter les pratiques éducatives aux cadres normatifs de ces organisations. L’assurance qualité permet d’assurer cette adéquation. La compétence, « une des notions témoins de notre époque [4] », devient le vecteur de cette stratégie : c’est un savoir-agir qui permet de mobiliser des ressources en situation réelle. De référentiels professionnels en approches pédagogiques orientées, la compétence balise désormais le champ éducatif, de la maternelle à l’université.

En outre, les missions éducatives ne peuvent se traduire en cibles à atteindre, en compétences à développer ; elles enveloppent un espace plus universel que celui de l’ici et maintenant. La nouvelle gestion publique en éducation favorise l’uniformisation, la marchandisation et la concurrence. À mesure de son institutionnalisation, on observe son dépassement, ses dérives et son impossibilité à « mettre de l’ordre » dans un système éducatif qui serait adapté aux défis du développement humain au 21e siècle.


[1Max Weber, La domination légale à dimension administrative bureaucratique, 1921. Disponible en ligne.

[2Michèle Charbonneau, « Nouveau management public », Dictionnaire de l’administration publique, 2012. Disponible en ligne.

[3Claude Lessard, « La montée en puissance de l’évaluation, instrument d’action politique au Canada et au Québec », Enseigner et évaluer, Québec, PUL, 2014, p. 143-164.

[4Françoise Ropé et Lucie Tanguy (dir.), Savoirs et compétences – De l’usage de ces notions dans l’école et l’entreprise, Paris, L’Harmattan, 1994.

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