Dossier : Cégeps. 50 ans d’existence
Prof, une job de gras dur ?
En 2014-2015, la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec rapportait que pas moins de 46% des professeur·e·s du réseau collégial possédaient un statut précaire.
Afin de mieux comprendre la réalité de cette frange de travailleurs·euses, nous présenterons trois cas types de professeur·e·s n’ayant pas de poste permanent, en fonction de leur accès (ou non) à une stabilité professionnelle et à un revenu suffisant. Les différents profils présentés ne visent pas à positionner le corps professoral en des rapports antagonistes, mais plutôt à signaler les écueils de certaines formes de contrat de travail du système collégial.
La professeure à statut précaire à temps complet au secteur régulier
Cela fait déjà dix ans qu’Elnaz enseigne au même cégep, en politique. Depuis six ans, sa trajectoire professionnelle s’est stabilisée. Chaque session, elle obtient une charge d’enseignement à temps complet. En plus de lui offrir une paix d’esprit, sa situation professionnelle lui a permis de réaliser certains projets avec sa compagne de vie, dont l’achat récent d’une demeure et l’agrandissement de leur famille.
Malgré la sécurité dont elle a bénéficié ces dernières années, Elnaz vient cependant d’apprendre que ses conditions de travail seraient modifiées à la prochaine session. En effet, en raison d’une baisse de la population étudiante et des récentes compressions budgétaires, un collègue d’un autre cégep a malheureusement été mis en disponibilité. Ainsi, se retrouvant sans charge dans son propre cégep, il risque de donner les cours qui, autrement, auraient été pourvus par Elnaz. Par conséquent, cette dernière n’obtiendra peut-être pas un statut à temps complet, et ce, pour une durée indéterminée.
La professeure à statut précaire au secteur régulier
Gabrielle a terminé sa maîtrise en biologie il y a deux ans. Depuis lors, elle a cumulé une multitude de contrats à temps plein et à temps partiel. Après Noël, pour une énième fois, et après avoir passé des entrevues dans différents cégeps, celle-ci attend toujours impatiemment un coup de téléphone pour un contrat de travail.
Cinq jours avant le début de la session, un cégep lui offre la charge de deux cours qu’elle n’a jamais donnés. Gabrielle s’empresse d’accepter, malgré le peu de temps dont elle bénéficie pour préparer ses nouveaux cours. Le jour suivant, un autre cégep pour lequel elle a déjà travaillé la contacte afin de lui offrir une charge pour trois groupes supplémentaires à la formation continue. Gabrielle est chanceuse : ces cours s’emboîtent sans écueil dans son horaire.
Elle doit saisir cette opportunité. Si elle refuse, l’enseignante court le risque de se faire dépasser sur la liste d’ancienneté. Elle espère un jour pouvoir travailler à temps plein dans ce cégep ; il lui faut donc assurer ses arrières. Par ailleurs, elle ne sait pas si elle aura un contrat à la prochaine session. Il lui est nécessaire de faire des provisions pour les potentielles sessions de disette.
Au final, à la session d’hiver, elle aura trois cours à préparer (dont deux nouveaux), 175 étudiant·e·s à encadrer et à corriger, des réunions départementales et des heures de disponibilité à offrir aux élèves au sein de deux cégeps différents.
Le professeur à statut précaire au secteur de la formation continue
L’année dernière, Jérémie enseignait en technique de travail social à temps complet à l’enseignement régulier. Cependant, cette année, soit en 2017, il n’a pas eu autant de chance. Il fait partie des 10% de professeur·e·s du réseau collégial qui enseignent à la formation continue. Bien qu’il réalise les mêmes activités d’enseignement que l’année précédente, son salaire s’est vu réduit de plus de la moitié. De surcroît, moins de cours sont disponibles à la formation continue, ce qui complique d’autant plus les choses : il donnera donc moins de cours et il sera moins payé pour ceux-ci. Jérémie n’est pas seul dans sa situation : 59% des professeur·e·s qui enseignent à la formation continue ne gagneront en moyenne que 29% du salaire d’un·e collègue à l’enseignement régulier à temps complet [1].
Jérémie n’a pas droit à l’assurance collective ni aux congés de maladie. Par ailleurs, étant donné que ce dernier est payé non plus pour une charge à la session, mais en fonction d’un salaire horaire, son contrat ne tient pas compte du nombre d’élèves inscrits sur ses listes de classe ni du nombre de préparations. Cette situation a également pour conséquence d’entraîner des iniquités entre ses collègues et lui : certain·e·s travaillent davantage que d’autres et reçoivent le même salaire. En outre, son contrat ne lui permet pas d’offrir des heures de disponibilité à ses étudiant·e·s à l’extérieur des heures de classe. De ce fait, lorsqu’il décide de répondre aux courriels de ses élèves ou d’effectuer de l’aide individuelle, il se trouve à travailler sans être rémunéré.
Plusieurs de ses cours ont lieu durant la journée. En revanche, deux d’entre eux se donnent le soir et la fin de semaine. Étant donné qu’il élève seul son enfant, Jérémie doit trouver quelqu’un pour s’occuper de celui-ci deux soirs par semaine et certains samedis. Par ailleurs, il ne dispose pas de plages horaires libérées pour assister aux réunions départementales ni aux réunions syndicales. Par conséquent, il lui est plus difficile de faire entendre sa voix auprès de ses collègues et de créer des liens avec ceux-ci et celles-ci. Il se sent parfois isolé.
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La situation des professeur·e·s non permanent·e·s n’est pas unique. Elle s’inscrit dans la mutation du travail salarié dont souffre le Québec et plusieurs autres sociétés depuis les années 1980. Les conséquences sont nombreuses : stress, anxiété, dépression, surmenage, report du début de la vie familiale, abandon de la profession, etc. De toute évidence, il est impératif de faire de la lutte à la précarité un objectif primordial des politiques publiques québécoises.
[1] CPNC, FNEEEQ, Rapport sur la formation continue - Comité national de rencontre, 2014, passim.