Alain Deneault
De quoi Total est-elle la somme ?
Alain Deneault, De quoi Total est-elle la somme ?, Montréal, Écosociété, 2017, 440 pages.
On dit souvent que les multinationales mènent le monde, que certaines d’entre elles sont plus fortes que bien des États. Alain Deneault a choisi d’en faire la démonstration dans un essai convaincant, De quoi Total est-elle la somme ?, qui s’en prend à la grande compagnie pétrolière française. Comme dans ses livres précédents – Noir Canada et Paradis fiscaux, la filière canadienne–, l’auteur s’est lancé dans une enquête ambitieuse, appuyée d’innombrables preuves, et qui suit l’entreprise et ses méfaits depuis sa fondation.
Total est vue comme une multinationale typique, semblable à ses consœurs les plus puissantes, et qui s’épanouit en multipliant les comportements les plus blâmables : corruption, destruction de l’environnement et des communautés, exploitation éhontée des travailleurs·euses et surtout, afin de commettre ses crimes en toute sécurité, détournement constant du droit son avantage.
L’essayiste Joel Bakan, dans La Corporation, avait déjà fait le portrait des multinationales comme ayant des comportements de psychopathes. Deneault nous en offre une autre preuve détaillée. Il préfère quant à lui utiliser le terme « pervers » et conclut d’ailleurs sa démonstration avec un passage en forme de coda dans lequel il aborde de façon philosophique la notion de « totalitarisme pervers » qui est selon lui celui des multinationales, et dont le mode de domination se fait justement par une appropriation systématique de la Loi.
À l’origine une entreprise publique créée dans le but de contrecarrer l’emprise des pétrolières étatsuniennes, Total a rapidement rejoint le club sélect des grandes multinationales oligopolistiques. Ses méfaits ont eu lieu sur tous les continents, en Asie, en Amérique de Sud, mais plus spécifiquement en Afrique, territoire familier à Deneault qui ne cesse de démontrer la dure réalité de la « Françafrique », cette colonisation de la France en Afrique qui n’en finit plus et qui prend un nouveau visage par le comportement de ses multinationales.
Total n’est pas une marque familière pour les Québécois et se rattache surtout à l’histoire de la France contemporaine. Un lien se fait cependant par Power Corporation et la famille Desmarais, qui sont parmi les principaux actionnaires de la compagnie. Total est surtout impliquée dans l’exploitation du pétrole des sables bitumineux en Alberta et cherche à l’exploiter davantage, même si ce pétrole particulièrement polluant contribue grandement au réchauffement climatique.
Avec ce livre, Alain Deneault persiste et signe. Une autre multinationale, Barrick Gold, a auparavant cherché à le faire taire, à la suite de la publication de Noir Canada. Avec son dernier livre, l’auteur démontre une fois de plus qu’il n’a en rien renoncé à son travail, à la fois indigné, salutaire et documenté, de dénonciation des méfaits des grandes entreprises.