Dossier : Cégeps. 50 ans d’existence
Un territoire, un cégep
Poser la question des cégeps en région, c’est poser toute la question de l’occupation du territoire québécois. Maintenir en vie l’Abitibi-Témiscamingue, la Gaspésie, la Côte-Nord est un choix de société qui a un prix.
La création du réseau des cégeps a donné aux régions un formidable élan de vitalité et a contribué à propulser le Québec hors de la Grande Noirceur. Garder et éduquer les jeunes adultes dans leur région d’origine, c’était nourrir le territoire de leur présence, de leurs forces vives. Mais il semble qu’à l’aube du 50e anniversaire du réseau collégial, l’idéal qui avait présidé à la fondation du réseau d’offrir à tous et à toutes non seulement une formation menant à l’emploi, mais également une solide éducation citoyenne commune se heurte aujourd’hui à une vision néolibérale qui menace leur mission partout hors des grands centres.
Fermer les robinets
Les mesures d’austérité ont fait très mal aux cégeps de région, et cette réalité ne date pas d’hier. Depuis 2011, le budget de fonctionnement des cégeps a été amputé de 155 millions de dollars ; les conséquences de ces compressions se sont fait sentir avec une force encore plus grande dans les régions aux prises avec une décroissance de leur population depuis le début des années 2000. Parce que le mode de financement basé sur la population étudiante n’a pas évolué pour soutenir les petites cohortes d’étudiant·e·s, on a vu la carte des programmes de certains établissements rétrécir considérablement. Les régions voient donc leurs cégeps perdre non seulement des effectifs qui doivent s’exiler pour étudier, mais également leur capacité d’assurer un enseignement de qualité. Selon le rapport de l’Institut de recherche en économique contemporaine, « c’est la mission centrale même des collèges qui est affectée, notamment par la réduction de la disponibilité et de la qualité de l’encadrement de soutien pédagogique. […] Les compressions ont un impact direct sur la qualité de l’enseignement, le contexte pédagogique et le climat de la poursuite des études [1] ». Les cégeps en région, menacés dans leur mission même, se démènent pour trouver de nouvelles façons d’assurer leur rentabilité. Une perspective évidemment inquiétante pour un service qui se dit public…
À quel avenir sont promis les cégeps de région vidés de leurs ressources ? Les modifications que nous pouvons envisager sont de plusieurs ordres, mais elles laissent entrevoir une atomisation du réseau collégial, dont le ministère semble négliger le caractère uniforme pour le laisser se développer de façon anarchique, selon les besoins spécifiques du marché local et au détriment d’une vision nationale.
Devant la perspective où les établissements seront mis en concurrence les uns avec les autres dans leur recherche de « clientèle », la survie des cégeps en région passe nécessairement, selon le ministère de l’Enseignement supérieur, par l’optimisation de la carte des programmes permettant une meilleure « adéquation formation-emploi ». L’éducation collégiale en région doit être mise au service des entreprises régionales, au détriment de la mobilité des personnes ainsi « formées ». Le développement de la formation à distance est envisagé comme solution pour pallier le sous- financement des petits groupes : les classes de région pourraient voir leur enseignement donné de plus en plus par les moyens du télé-enseignement à partir des grands centres. Le désinvestissement de l’État favorise l’implantation d’une conception utilitariste de la formation collégiale et la mutation forcée de la relation pédagogique traditionnelle laisse appréhender un rétrécissement de la place et du rôle des régions dans le Québec des prochaines années.
Fragiliser le milieu de vie et d’éducation citoyenne que sont les cégeps dans les régions, c’est menacer la vitalité même du territoire. En soutenir la mission par le biais d’un financement adéquat et d’une réflexion en profondeur sur leur rôle est donc tout aussi essentiel aujourd’hui qu’il y a 50 ans !