Dossier : Le sport en ville - une appropriation citoyenne
Le programme "Bleu, Blanc, Bouge"
L’appropriation citoyenne d’un espace sportif
Au Canada, les problèmes de surpoids et de manque d’activité physique deviennent de plus en plus alarmants. En effet, selon une enquête menée par Statistique Canada et publiée en 2011, 85 % des adultes et 93 % des enfants et des jeunes Canadiens n’atteignent pas le niveau minimal quotidien d’activité physique nécessaire pour maintenir une bonne santé et un bien-être satisfaisant (Statistique Canada, 2011). Selon le Canada’s House of Commons Standing Committee on Health, le Canada présente l’un des plus hauts taux d’obésité infantile du monde dit développé et se classerait au 5e rang parmi les pays de l’OCDE.
Santé : une situation alarmante
Ces problèmes sont également présents au Québec. En effet, des données de 2007 et de 2008 mettent en lumière que 47,5 % des jeunes garçons âgés de 12 à 17 ans et 64,7 % des jeunes filles du même âge font moins de sept heures d’activité physique chaque semaine, temps nécessaire pour favoriser la santé selon les directives canadiennes en matière d’activité (Tremblay et coll., 2011). Plusieurs recherches ont démontré ces dernières années que le milieu dans lequel vit un individu conditionne grandement la santé physique et mentale de ce dernier. Or, il a également été révélé que l’environnement bâti joue un rôle central dans les choix et les motivations incitant diverses personnes à adopter un mode de vie actif (Giles-Corti et Donovan, 2002).
L’environnement bâti ne se limite pas aux équipements sportifs, mais englobe l’ensemble des éléments de l’environnement physique autres que naturels, tels que les espaces publics, les infrastructures de transport, les lieux d’habitation, etc. Selon Day et ses collaborateurs (2006), l’environnement bâti exerce également son influence sur l’activité physique à travers trois facteurs centraux, soit l’accessibilité géographique, économique et sociale, l’attrait, et la sécurité. Ainsi, ces trois facteurs jouent un rôle primordial dans l’appropriation des espaces sportifs par la population.
Le projet « Bleu, Blanc, Bouge », un équipement sportif de proximité dans les quartiers défavorisés.
Le projet « Bleu, Blanc, Bouge » est le projet phare de la Fondation des Canadiens pour l’enfance. Il s’agit du don et de la construction de patinoires extérieures réfrigérées, de dimension officielle pour le hockey nord-américain, dans cinq quartiers défavorisés de Montréal. La Fondation définit ces patinoires comme étant des « lieux d’animation, de rencontre et d’activité physique qui permettront aux enfants de ces milieux de connaître les avantages d’un mode de vie sain et physiquement actif ».
C’est en partenariat avec l’organisme parapublic Québec en Forme, et avec la participation des groupes communautaires locaux, que la Fondation des Canadiens pour l’enfance vise à assurer le succès du programme « Bleu Blanc Bouge ». À la suite de l’implantation de la première patinoire de ce programme dans le quartier Saint-Michel en 2008, la Fondation des Canadiens pour l’Enfance a inauguré sa deuxième patinoire extérieure au parc Le Carignan dans l’arrondissement Montréal-Nord en janvier 2010.
Déjà à sa troisième année d’existence, la patinoire « Bleu, Blanc, Bouge » est reconnue par la très grande majorité des acteurs du milieu comme étant un franc succès. La raison de cette réussite remonte au tout début du processus d’implantation de l’équipement. En effet, la Fondation des Canadiens pour l’enfance a collaboré avec Québec en Forme, Centraide et la Direction de la diversité sociale de la Ville de Montréal afin d’établir les critères permettant de cibler les quartiers le plus appropriés à recevoir ce type de programme. Les facteurs centraux retenus sont le caractère défavorisé des quartier, la présence d’un bassin important d’enfants et une importante mobilisation déjà en place menée autour des saines habitudes de vie. D’autres éléments sont également pris en compte, tels que la sécurité, les infrastructures de transport et le potentiel d’utilisation. On vise ainsi à choisir les lieux où l’on retrouve les paramètres favorisant une appropriation de l’espace sportif par la population.
L’expérience exemplaire de Montréal-Nord
À Montréal-Nord, la demande pour une patinoire « Bleu, Blanc, Bouge » provient d’une association entre la Direction de la culture, des sports, des loisirs et du développement social et le Regroupement Écoles et milieux en santé de Montréal-Nord (RÉMES). Ce dernier réunit trois instances locales : Québec en Forme Montréal-Nord, Écoles et milieux en santé et le Comité Toxico de la table de concertation jeunesse de Montréal-Nord. La mission de ce regroupement est « de développer, en milieu scolaire prioritairement, une vision commune et une intervention globale concertée en promotion de la santé, du bien-être et de la réussite éducative des jeunes de 0-17 ans principalement. »
Plusieurs instances issues des secteurs communautaire, scolaire, sportif, de la santé et municipal travaillent en partenariat avec le RÉMES. Alors que c’est l’arrondissement qui est mandaté pour la gestion de la patinoire, le RÉMES joue le rôle primordial d’agent de diffusion de l’information concernant la patinoire auprès de divers acteurs de la communauté.
La stratégie d’implantation et de gestion de cet équipement sportif de proximité a été mise en œuvre de façon à encourager une appropriation rapide de cet espace sportif par la population du quartier. Le site d’implantation choisi par l’arrondissement de Montréal-Nord semble permettre de répondre aux trois facteurs centraux influant sur l’activité physique : l’accessibilité, l’attrait et la sécurité. En effet, le parc Le Carignan qui a accueilli en 2010 la patinoire « Bleu, Blanc, Bouge » est situé à proximité de plusieurs écoles, dans un quartier résidentiel.
De plus, la patinoire est implantée à l’intérieur du secteur le plus défavorisé de Montréal-Nord, le secteur Nord-Est. Or, il était important pour l’arrondissement de permettre à cette population défavorisée vivant dans le secteur d’avoir accès à des plateaux sportifs publics à proximité. Une meilleure accessibilité géographique est assurée par les quatre grands axes routiers avoisinants, soit les boulevards Lacordaire, Henri-Bourassa, Langelier et Maurice-Duplessis. Par ailleurs, l’argent investi par l’arrondissement dans la rénovation du parc vise également une meilleure appropriation citoyenne par l’amélioration de l’attrait du site. Ainsi, plusieurs milliers de dollars ont été engagés pour l’amélioration du plan lumineux, la construction de nouveaux équipements et l’amélioration des infrastructures existantes.
De surcroit, plusieurs éléments du secteur choisi ont une influence positive quant à la sûreté du lieu, mais surtout sur le sentiment de sécurité qui est devenu un thème primordial en urbanisme depuis Death and life of great American cities de Jane Jacobs (1961). Ce sentiment prend encore plus d’importance dans un quartier comme Montréal-Nord où le taux de criminalité est élevé et où les problèmes reliés aux gangs de rue sont largement présents. La nécessité de veiller sur la rue, idée mise de l’avant par Jacobs, devient donc essentielle. C’est ce qui fait du parc Le Carignan un choix stratégique. Son implantation dans un quartier résidentiel à densité moyenne permet une utilisation ponctuelle de la patinoire par une population, principalement des jeunes familles habitant près du lieu de pratique, et par conséquent une meilleure supervision provenant du voisinage.
Enfin, il faut signaler la proximité du Centre local des services communautaires (CLSC) et du poste du Service de police de la Ville de Montréal. Le partenariat entre le RÉMES et les institutions scolaires et communautaires du quartier engendre aussi une appropriation de l’équipement par ces derniers, alors que le tiers de la plage horaire leur est réservé. De plus, le matériel qui est mis à leur disposition (patins, casques, etc.) facilite grandement l’accessibilité à l’équipement par ces groupes.
Un défi à relever : l’intégration des femmes et des immigrantEs
Toutefois, certains éléments semblent freiner l’appropriation citoyenne de la patinoire « Bleu, Blanc, Bouge », principalement en ce qui concerne les populations immigrantes et féminines. L’absence de prêt de matériel pour les usagers en pratique libre, l’omniprésence de la pratique du hockey et la présence accrue de participants très sportifs semblent décourager ces populations d’utiliser cet équipement sportif. Une stratégie d’animation mise en place sur et autour de la patinoire, comme il se fait à l’intérieur d’autres quartiers, a déjà démontré son efficacité dans ce genre de problématique. Ainsi, une telle stratégie mise de l’avant par l’arrondissement de Montréal-Nord pourrait optimiser l’appropriation citoyenne de cet équipement sportif de proximité.