La connaissance n’a pas de prix

No 041 - oct. / nov. 2011

Hausse des frais de scolarité

La connaissance n’a pas de prix

Éditorial du no. 41

Le Collectif de la revue À bâbord !

Dès l’automne 2012, les étudiantes et étudiants québécois feront face à une hausse marquée des frais de scolarité. En 2016-2017, le montant pour une année d’études aura augmenté de 2 168 $ à 3 793 $. D’un côté, la ministre de l’Éducation, les recteurs et leurs amis de la communauté d’affaires prétendent que cette hausse n’aura aucun effet sur l’accessibilité. De l’autre, les étudiants contestent l’augmentation de leur facture d’études, en faisant valoir que la hausse viendra miner l’accès à l’enseignement supérieur des étudiants issus des classes moins nanties. La révolte des étudiants est juste et légitime. Mais pour convaincre, ils devront s’attaquer à la racine du problème, qui dépasse la seule question du montant des frais de scolarité.

De fait, la hausse des frais de scolarité masque une transformation radicale du rôle que doit jouer l’éducation dans nos sociétés. En vertu de son idéal humaniste fondateur, l’université doit transmettre la culture en donnant à chacun l’accès à la connaissance, c’est-à-dire au patrimoine culturel, intellectuel et scientifique qui appartient à l’ensemble de l’humanité.

Or, pour les défenseurs de la hausse comme Lucien Bouchard, François Legault, Jean Charest et Cie, pour les recteurs dont le rôle s’apparente à celui de voyageur de commerce et autres sbires, il n’y a pas de société ni de culture commune. Il n’y a que des individus égocentriques qui investissent dans leur « capital humain ». Quand ils parlent d’éducation, ils parlent d’abord d’économie. Pour eux, l’éducation sert à deux choses : a) produire de la recherche financée publiquement qui va profiter à l’entreprise privée et b) former de la main-d’œuvre docile, des ignorants fonctionnels adaptés à la logique de surproduction qui est au fondement de notre société de consommation de masse. L’élite politico-économique veut transformer la mission de l’institution universitaire pour qu’on y produise en série un « Homme nouveau ». Un individu qui se gère comme une entreprise et qui investit dans sa formation pour récolter des bénéfices futurs.

L’argumentaire des élites est fondamentalement malhonnête. D’une part, parce que dans le contexte de la crise économique actuelle, les bons emplois et les hauts salaires risquent de ne pas être au rendez-vous, à tel point que l’OCDE parle d’une « génération sacrifiée ». D’autre part, parce que la hausse des frais ne servira pas à améliorer la « valeur » des diplômes. Au contraire, les ressources dégagées serviront principalement à financer la reconversion commerciale de l’université, c’est-à-dire sa transformation en usine à brevets.

Il suffit de porter attention au discours du Parti libéral ou à celui de François Legault pour comprendre que pour l’élite, l’éducation doit être au service de l’accumulation capitaliste. Pour eux, l’État doit stimuler l’économie du Québec en passant de l’exploitation des ressources naturelles à l’exploitation des cerveaux. Cette ultime stratégie pour tenter de sauver le capitalisme moribond ne peut qu’échouer. Pour gagner la guerre économique mondiale, tous les pays tentent de se concurrencer sur le terrain de la commercialisation du savoir. L’exemple des États-Unis, qui ont initié le mouvement vers « l’économie du savoir », nous montre à quel point ce modèle est un mirage.

Aux États-Unis, la classe dominante a convaincu la population qu’il était rentable de s’endetter en « investissant » davantage dans sa formation sous prétexte que l’augmentation des revenus des universités allait améliorer la « valeur » des diplômes. La hausse des frais a plutôt conduit à une logique commerciale qui a dégradé la qualité de l’enseignement et transformé les universités en usines à diplômes. Selon un chroniqueur du magazine The Economist, la commercialisation de l’enseignement supérieur risque de mener à l’éclatement d’une nouvelle bulle spéculative : celle de l’éducation. On endette des étudiants sous promesse de bénéfices futurs qui ne se matérialisent jamais. L’université américaine forme ainsi des clones conformistes et obéissants, enchaînés à des dettes faramineuses qu’ils ne seront pas en mesure de rembourser.

Notre monde fait face à des crises sans précédent : crise économique, écologique, culturelle, bref, crise civilisationnelle. Or, nous sommes en train de détruire l’une des rares institutions qui nous permettrait de penser un autre monde en lui demandant plutôt d’accélérer le suicide collectif dans lequel notre mode de développement irréfléchi nous entraîne. Le véritable rôle de l’université est de former des individus autonomes en mesure de réfléchir de manière critique sur les orientations que doivent prendre nos sociétés. Aucune société ne peut survivre si elle ne s’interroge pas sur les idéaux et les projets qui l’animent. Voilà bien le sens profond du débat sur la hausse des frais de scolarité : quelle est la finalité de l’éducation, et quelle société voulons-nous ? L’élite prétend que la valeur de l’éducation se mesure à son prix. Mais à À bâbord !, nous soutenons plutôt que ce qui a une valeur, comme la connaissance, n’a aucun prix. C’est pourquoi l’école devrait être gratuite.

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