Ellen Meiskins Wood
L’empire du capital
Ellen Meiskins Wood, L’empire du capital, Montréal, Lux Éditeur, 2011, 232p.
La pensée marxiste était mûre pour une actualisation en profondeur de sa théorie sur l’impérialisme. Beaucoup d’eau a coulé sous le pont de la domination impériale depuis Lénine, le capitalisme est passé d’un système régissant les destinées économiques des pays impérialistes à son statut actuel, soit celui d’Empire planétaire. Ellen Meikins Wood, après son travail de réinterprétation des origines du capitalisme, nous invite maintenant à redéfinir nos perspectives sur la notion même d’Empire au temps de la domination globale du capital.
Wood distingue d’abord deux types d’impérialisme, le précapitaliste et le proprement capitaliste. Le premier type d’impérialisme se caractérise par un recours à des stratégies d’accumulation et d’exploitation essentiellement extra-économiques. Pensons aux conquêtes territoriales basées sur le pillage et la réduction des populations conquises dans un état de quasi esclavage (les Espagnoles en Amérique, les Belges au Congo, etc.) ou encore au contrôle de routes commerciales par les puissances marchandes (Venise, Amsterdam, etc.) ; ces impérialismes s’appuient tous sur le même type d’assises pour exercer leur domination : une supériorité militaire et technologique permettant d’imposer par la force leur domination politique et commerciale.
L’impérialisme capitaliste se distingue, selon Wood, par l’imposition des critères du marché concurrentiel aux pays soumis. Au fil des siècles et plus particulièrement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les critères de marché capitalistes se sont imposés sur l’ensemble du globe, donnant naissance à une toute nouvelle forme d’Empire qui ne se fonde pas sur la domination territoriale directe, mais sur une structuration de l’économie mondiale répondant aux impératifs du capital. Pour assurer la stabilité d’un tel système, il ne faut pas moins d’État, au contraire. L’Empire tel que défini par Wood est le premier qui s’appuie à la fois sur une seule superpuissance militaire garante de la stabilité du système (les États-Unis) et sur tout un réseau d’États-Nations abdiquant leur propre prétention à l’hégémonie militaire au profit de la lutte économique (Japon, Union européenne, Chine, etc.).
Encore une fois, Wood nous propose une lecture éclairante sur la nature de la domination capitaliste et sur son originalité. Loin d’annoncer le déclin de l’État-Nation comme régulateur du capitalisme, l’Empire favorise plutôt l’édification d’un système multiétatique dans lequel l’État demeure le pivot fondamental devant permettre la stabilité de la domination du capital. Nous aurions apprécié un plus large développement sur les contradictions liées à cet Empire (comment comprendre par exemple la pérennité de la domination états-unienne dans un Empire à « vocation » économique alors que leur rôle de gendarme universel nuit à leur prospérité dans la lutte contre leurs concurrents potentiels ?) et une ouverture sur les stratégies de résistance à développer face à un régime qui, à la lecture de ce livre, semble résolument fragile. Quoi qu’il en soit, ce livre est à lire et nous ne pouvons que remercier l’équipe de Lux Éditeur de l’avoir rendu disponible en français.