Le vent du populisme

No 041 - oct. / nov. 2011

Débat politique

Le vent du populisme

Débat entre la gauche et la droite

Claude Vaillancourt

Sans que la question nationale ne soit réglée pour autant, l’affaiblissement de l’opposition entre souverainistes et fédéralistes au Québec a mis le débat public au diapason du reste du monde. Celui-ci s’aligne désormais sur une opposition marquée entre la gauche et la droite. Ce qui n’entraîne pas un repositionnement important des forces, les souverainistes étant le plus souvent de gauche et les fédéralistes davantage marqués par les idées de droite. Les réajustements concernent davantage le discours : comment, avec quels moyens, avec quel ton doit-on s’adresser à ceux que l’on veut convaincre ?

La droite, on le sait, se rassemble pêle-mêle autour des bonnes vieilles organisations patronales, de lobbyistes discrets, efficaces, toujours plus nombreux, de think tanks plus ou moins virulents tels l’Institut économique de Montréal, le Réseau liberté, la Coalition pour l’avenir du Québec. Elle voit ses messages abondamment relayés par les grands médias qui rejoignent un public élargi.

Dans le coin gauche, on retrouve syndicats, mouvement communautaire, organisations de citoyens, nouveaux think tanks tels l’IRIS et l’IREC, infiniment moins bien financés que leurs pendants de droite, mais actifs et efficaces. Tous sont appuyés par une nébuleuse de médias alternatifs aussi mal financés, à faible diffusion, très fragiles, qui s’appuient sur une main-d’œuvre souvent bénévole, mais soutenus par un public fidèle – dont votre revue À bâbord !
Chacun de ces partis se considère victime de l’autre, qui occuperait toute la place : la droite se plaint d’une soi-disant omniprésence des gens de gauche tant dans les médias que sur les tribunes, ce qui empêcherait le Québec d’effectuer le nécessaire massacre à la tronçonneuse de son modèle social qui assurerait notre survie à l’ère de la mondialisation. La gauche, quant à elle, déplore la concentration des médias, encore plus grande au Québec qu’ailleurs dans le monde. Elle dénonce à la fois la formidable plate-forme que ces médias populaires offrent aux idées de droite et la profonde médiocrité de leurs contenus

La mise : le grand public

Les deux clans visent la masse laborieuse et souvent peu politisée qui recueille ses informations là où elle le peut, quand elle le peut, qui vote un jour pour l’ADQ et le lendemain pour le NPD, dont l’opinion deviendra l’arbitre suprême qui légitimera ou condamnera les grandes prises de position.
Trouver la façon la plus efficace de s’adresser au grand public est un défi constant. Il faut expliquer en des mots accessibles des enjeux complexes, avoir un grand sens de la synthèse, trouver des images fortes pour frapper l’imagination, éviter le style universitaire, ne pas déformer les faits. La tentation est grande de tout simplifier, de grossir les traits, de mentir parfois, parce qu’un mensonge, même démenti, parvient à semer le doute.
Ainsi, plusieurs tribuns sont qualifiés de « populistes », le plus souvent de façon péjorative. Pourtant, l’historien Christopher Lasch considérait le populisme comme « la voix authentique de la démocratie ». Selon lui, le populisme demeure sain et souhaitable, parce qu’il s’attaque dans son essence à l’élitisme qui consolide et isole le pouvoir politique. D’autres n’y voient qu’une rhétorique, une façon particulière de s’adresser au peuple par un discours simple, puissant, émotif et peu nuancé qui peut se retrouver tant à gauche qu’à droite.

Il devient évident que les deux clans de gauche et de droite ont adopté des types de discours et des canaux très différents pour rejoindre la majorité silencieuse. Ce qui relève beaucoup moins d’une stratégie planifiée que des moyens dont chacun bénéficie, du type d’organisation, des habitudes et du mode de travail. Cela donne d’honnêtes résultats dans chacun des cas, malgré d’importantes frustrations, puisque la bataille continue de faire rage.

Dans le coin droit

À droite, on profite largement des tribunes offertes par les grands médias conglomérés. Ainsi a-t-on lâché une meute de chroniqueurs et d’éditorialistes qui martèlent avec un zèle soutenu les idées conservatrices : en vrac, les Mario Dumont, Éric Duhaime, Nathalie Elgrably-Lévy, Joseph Facal, André Pratte, Richard Martineau, Mario Roy, Pierre Duhamel, Daniel Audet, Alain Dubuc, Pierre Fortin, Lysiane Gagnon, Claude Picher. Devant tant de voix, celles pas toujours trop dissidentes de Pierre Foglia, Hubert Reeves et Jean-François Lisée, toutes respectées soient-elles, font difficilement le poids.
Certes, tous n’adoptent pas le même ton et les différences sont considérables entre les propos d’un animateur de la radio poubelle à Québec et celui de l’éternel doctorant Mathieu Bock-Côté. Mais tous se désolent de la résilience des idées de gauche au Québec. Ils ont derrière eux le poids d’une idéologie néolibérale qui s’est implantée partout dans le monde, qui a provoqué sa part de crises douloureuses, qui a cependant derrière elle une domination de facto et l’approbation des puissants.

Mais il y a une importante faille : le Québec n’a toujours pas éprouvé de choc terrible qui aurait permis d’administrer un bon remède de cheval, tel que l’a décrit Naomi dans son best-seller La stratégie du choc. Le modèle social québécois a même permis de mieux encaisser les secousses de la dernière crise. Si bien que ces chroniqueurs cherchent avec énergie le mal qui pourrait déclencher le grand ménage : une dette alarmante, une richesse qui ne se crée pas, trop de vieillards à soigner, un pouvoir obstiné et immobiliste des syndicats, une immigration peu respectueuse de nos valeurs. Pourtant, avec un entêtement qui résiste à l’analyse, les Québécois sont toujours réticents à s’alarmer devant de tels dangers.

Il faut donc trouver le bon ton. Qu’il soit paternaliste et légèrement condescendant, comme chez les penseurs de La Presse, ou sarcastique, hilare, triomphal, alimenté de raccourcis et de préjugés comme chez Mario Dumont et les animateurs de la radio poubelle, il est soutenu par un sentiment si solide d’être en possession de la vérité qu’on ne cache pas toujours un grand mépris envers les adversaires.

Les conservateurs de Stephen Harper ont montré qu’avec beaucoup de patience, d’obstination, avec des campagnes de dénigrement bien orchestrées et un contrôle rigoureux de l’information, on peut se gagner les appuis souhaités. La stratégie du martèlement, telle que développée depuis plusieurs années, pourrait donc donner les résultats attendus.

Dans le coin gauche

À gauche, on ne cesse de déplorer la très grande puissance des médias conglomérés et leur faculté de guider l’opinion publique. Ces derniers déterminent l’agenda public et orientent les débats par les campagnes officieuses qu’ils entreprennent, par la sélection de sujets qui les avantagent aux dépens d’autres plus sociaux et plus dérangeants, par le choix des personnalités qu’ils accueillent dans leurs pages.

Avoir accès à ces pages ou à des heures de grande écoute devient vital pour la gauche, même si elle sait que sa présence sera toujours beaucoup moins grande que celle de ses adversaires. Ce qui crée une permanente frustration ou un sentiment de résignation très compréhensible. Il reste à l’occasion Radio-Canada, très sollicitée mais relativement peu ouverte, qui tente de préserver une forme de neutralité et dont la dépendance aux fonds fédéraux pour sa survie en limite grandement les audaces. Ou le journal Le Devoir, dont le tirage par semaine demeurait, en 2009, environ 16 fois moins important que celui de l’ensemble des quotidiens de Gesca – et près de 19 fois moins que celui des journaux de Quebecor [1].

Plusieurs rêvent d’un grand média populaire de gauche, accessible, avec du sport, des jeux, des vedettes, du divertissement, qui adopterait le ton de grands médias conglomérés tout en diffusant des messages plus audacieux et subversifs, auxquels ne manquerait pas de s’intéresser un vaste public. L’expérience désolante de Rue Frontenac, que plusieurs avaient vu prendre ce rôle, a montré toute la difficulté d’une telle entreprise. Comment trouver de l’argent, de la publicité, de solides investisseurs dans un petit marché comme le nôtre et dans un système dont l’intérêt est de rejeter ce genre de publication ?

Malgré ces difficultés, la gauche a su compenser son manque de présence dans les grands médias par un travail de fourmi qui donne de réels résultats. Par le biais de nombreux médias alternatifs, par des campagnes d’information de syndicats, de groupes communautaires, par des études d’universitaires et de groupes de recherches indépendants, diffusées malgré tout, par ses nombreux réseaux et ses organisations, la gauche a réussi à maintenir un modèle social plus généreux qu’ailleurs en Amérique du Nord et qui tient en partie le coup malgré des assauts multiples et obstinés.

L’avenir

Rien ne semble donc très clair quant à ce qui arrivera dans un avenir rapproché. D’une part, il devient évident que les réformes proposées par la droite dans le monde donnent des résultats désastreux pour la très grande majorité de la population. D’autre part, par leur répétition systématique, voire un certain matraquage médiatique, les idées des droites finissent bel et bien par pénétrer dans les cerveaux, comme de la mauvaise publicité. Et la transformation de la puissante et populaire machine Quebecor en une chaîne de propagande de la droite radicale, selon le modèle des médias de Robert Murdoch dans le monde anglo-saxon, n’annonce rien de bon.

L’arrivée d’un député de Québec solidaire au parlement du Québec a donné une belle vitrine aux idées de gauche. L’acharnement contre Amir Khadir de la part des grands médias montre bien que l’on prend la mesure du danger.

L’affrontement très médiatisé en juin dernier entre Khadir et Lucien Bouchard lors de la commission sur les gaz de schiste est d’ailleurs, d’une certaine manière, à l’image du débat actuel entre la gauche et la droite : le ton calme et posé de Khadir, qui a cité dans sa prise de parole le poète Gatien Lapointe et le sociologue Jacques B. Gélinas, s’opposait à la colère théâtrale de Bouchard, drapé de son bon droit absolu de défenseur des investisseurs.

Ainsi, devant le difficile accès aux médias populaires, la gauche adopte un ton souvent nuancé, exigeant, parfois savant, s’appuyant sur un contenu précis et bien documenté qui se prête mal aux simplifications. Ce ton l’emporte, largement, sur celui de quelques auteurs plus tonitruants, tels Léo-Paul Lauzon, qui restent l’excep­tion. Il s’agit d’une approche un peu forcée, à la fois un avantage et un inconvénient, mais surtout adaptée aux moyens qui sont les siens. Contre cela s’opposent la colère, les leçons, les rires gras, les indignations des chroniqueurs de droite, du haut de leurs tribunes, devant de très nombreux auditeurs captifs. Il faut espérer que l’intelligence du public l’emportera.


[1Source  : Centre d’études sur les médias.

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