Retrouver la raison

No 070 - été 2017

Jocelyn Maclure

Retrouver la raison

Jean-Pierre Couture

Jocelyn Maclure, Retrouver la raison, Montréal, Québec Amérique, 2016, 278 pages.

Dans cet ouvrage composé d’une cinquantaine de textes parus, Jocelyn Maclure nous convainc que « le fort du rationalisme » vaut la peine d’être tenu, car notre espace public a bien besoin de voix qui respectent encore les règles de « l’adéquation entre les énoncés et les faits, la rigueur argumentative et la cohérence logique ».

C’est en arborant les couleurs du libéralisme de John Stuart Mill dont il admire l’intégrité morale que Maclure chausse les patins. Sa pensée est exigeante et ne se confond jamais avec la béate satisfaction devant le statu quo. Au contraire, Maclure défend un projet éthique dans lequel « l’échange d’arguments, fondés sur des principes, entre les citoyens d’une communauté politique » puisse faciliter l’atteinte d’un point d’équilibre entre exigences multiples. Prudence et modération propulsent l’essai de l’auteur qui sait bien que la pratique de ces vertus est plus aisée chez les privilégié·e·s de la « mobilité sociale ascendante ».

Au fil des pages, Maclure défend la différence québécoise sans reprendre son discours victimaire ; il critique certaines erreurs de la Cour suprême sans accréditer le complot du « gouvernement des juges » ; il est pour la liberté d’expression sans mépris envers l’autre ; il est pour le dialogue interculturel sans devoir d’assimilation ; il est pour la laïcité sans compromis « catho-laïque ». Les nationalistes conservateurs y reçoivent donc quelques bonnes mises en échec.

Sur la question des accommodements raisonnables, le libéralisme de Maclure apparaît toutefois intégral. Opposé à toute limitation de la liberté individuelle quant au port de signes religieux, il exprime sa dissidence de la commission Bouchard-Taylor, dont le rapport négocié s’est finalement engouffré dans des calculs politiques de bas étage.

C’est un vieux problème : la politique s’oriente difficilement selon l’immuabilité des seuls principes, dussent-ils avoir été mûris dans une étude savante. Maclure n’est pas dupe et louvoie entre solutions pragmatiques et discussions abstraites. Ce « nouveau réalisme » comporte mérites et défauts.

L’auteur souhaite que les politiciens rangent « Machiavel dans leur bibliothèque », mais il ne conçoit pas, lui non plus, la politique comme un concours de pureté. Contre l’ivresse procurée par la certitude que la radicalité de principe peut rapprocher d’un quelconque but, il écrit à juste titre qu’on « ne devrait pas écarter a priori une politique efficace pour des raisons idéologiques ». Or, le philosophe Maclure s’adonne aussi à cadrer les problèmes de manière abstraite, quitte à ne pas mesurer la dimension machiavélique des manœuvres qu’il analyse. Prenons l’exemple de la tarification modulée des centres de la petite enfance. Au moment où le gouvernement Couillard conduit un exercice de relations publiques pour tester dans l’opinion l’idée de taxer davantage les usagers les plus riches, Maclure appuie le principe et discute de la coordination souhaitable entre imposition et tarification progressives. La mesure paraît équitable et la rondelle circule en zone neutre. On comprendra trop tard que les objectifs cyniques du gouvernement faisaient d’une pierre trois coups : paraître juste, réduire l’écart tarifaire avec le secteur commercial (non syndiqué) et passer go avec des revenus supplémentaires extirpés du travail des éducatrices et redirigés vers le budget général de l’État.

Le politologue, plus que le philosophe peut-être, se méfie des mots. Les structures et les intérêts lui parlent davantage, car leur redoutable matérialité perce toujours le maquillage. Comme le rappelle Axel Honneth, l’exploitation n’est pas d’abord une erreur logique ou une faute morale, mais un fait social à analyser. Maclure ne l’interdit pas, car il peut jouer sur le même trio que la théorie critique et le féminisme. Son souci consiste surtout à faire recouvrer au libéralisme un sens qui allie démocratie à émancipation, c’est-à-dire conjuguer « la souveraineté populaire d’un côté et l’État de droit et le respect des droits de la personne de l’autre ». Toute politique digne de ce nom doit pouvoir mettre en œuvre cette exigence minimale, y compris au Québec…

Le jeu serait si beau si en chemin nous tranchions nos différends par la seule « force du meilleur argument ». Même si notre métier de professeur nous enjoint de le promouvoir et de l’incarner, il reste hélas que le pouvoir de la raison s’arrête au seuil de cette invitation. Lorsque l’appel reste sans réponse, la raison est incapable de freiner la spirale descendante du populisme qui, lorsqu’installé à demeure, a définitivement dégradé le répertoire des armes admises dans le discours politique. Mais Maclure ne renonce pas. Il entend continuer à jouer selon le plus beau style, sans coup bas ni vacheries. Du hockey comme dans le temps (comme disait l’autre), car il ne faut pas laisser le champ libre aux goons dans ce sport. Après tout, l’issue de nos guerres culturelles n’est pas scellée et les alliances sont aussi précieuses que vivifiantes dans la poursuite de la lutte. Ne laissons pas « les camarades descendre dans les tranchées sans jamais leur prêter main-forte ». Message reçu.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème