Travail
Pour une hausse significative du salaire minimum
Le 1er mai dernier, le salaire minimum général est passé à 11,25$ de l’heure. La hausse s’inscrit dans une série d’augmentations du salaire minimum visant à atteindre 12,45$ d’ici 2020, ce qui devrait alors représenter la moitié du salaire moyen au Québec.
Ces hausses minimales ne tiennent pourtant pas compte de la réalité des travailleuses et travailleurs au salaire minimum. Selon la co-porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté et de la campagne 5-10-15, Virginie Larivière, la majorité de ceux-ci et de celles-ci vivent une situation de pauvreté qui n’est pas transitoire : « 72% des travailleurs et travailleuses au salaire minimum occupent un emploi permanent. Alors, ce n’est pas un emploi d’été, ce n’est pas un emploi en attendant, c’est un emploi permanent. Et la moitié des travailleurs et travailleuses au salaire minimum compte sur ce salaire-là pour arriver à la fin du mois. Ça veut dire qu’il n’y a pas d’autres revenus dans le ménage. »
Rappelons, si besoin était, que 60% des personnes travaillant au salaire minimum sont des femmes, qu’elles sont non syndiquées et n’ont pas droit à différents avantages sociaux (régime d’assurance ou régime de retraite par exemple). Plus encore, la plupart d’entre elles travaillent seulement 25 heures par semaine, faute d’accès à un poste à temps plein dans bien des cas. « Souvent, ces personnes vont conjuguer un, deux, parfois trois emplois pour réellement travailler à temps plein », observe Mme Larivière. Leur statut de travailleuse ou travailleur à temps partiel entraîne plusieurs inconvénients(des horaires atypiques par exemple, ce qui rend particulièrement difficile la conciliation travail-famille) et des problèmes d’accès à l’assurance emploi et à des formations offertes par leur employeur.
Les coûts d’un salaire minimum peu élevé
Une trappe à pauvreté
La plus récente augmentation reste d’ailleurs insuffisante, puisque, selon les chiffres rendus publics par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), près de 25٪ des salarié·e·s payés au salaire au minimum resteront en situation de pauvreté et de précarité [1]. « On le voit dans les « bilans-faim » que le réseau des banques alimentaires produit chaque année au mois de décembre. 11% des gens qui fréquentent une banque alimentaire ont des revenus d’emploi. Alors les gens travaillent, mais ils ont quand même besoin de passer par une banque alimentaire, parce qu’ils n’arrivent tout simplement pas à joindre les deux bouts », rapporte la co-porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Selon des chiffres de 2016 de l’IRIS, le salaire minimum viable pour une personne seule habitant à Montréal n’est pas de 11,25$, mais bien de 15,78$/heure.
Loin de nous l’idée de minimiser l’impact que peuvent représenter 50 sous de l’heure sur un talon de paie pour les personnes qui tirent le diable par la queue. Toutefois, de 2008 à 2010, alors que la conjoncture économique était sensiblement plus difficile, des hausses annuelles de 50¢ ont été adoptées. Le salaire minimum est alors passé de 8,50$ en 2008 à 9,50$ en 2010. Pour justifier l’insuffisance de la hausse actuelle, le gouvernement libéral a dit prendre en compte les objectifs de croissance économique qu’il s’est fixés ainsi que la « capacité de payer » des employeurs.
Il faut croire que ces « impératifs » strictement politiques pèsent plus lourd dans la balance que la qualité de vie d’une part importante de la population qui, sans un revenu suffisant, devra renoncer à espérer se sortir de la pauvreté.
Des subventions indirectes aux entreprises
Opposées aux hausses du salaire minimum, les associations patronales proposent plutôt une augmentation des aides versées aux travailleuses et travailleurs à faible revenu (exemption d’impôts, prime au travail ou crédit d’impôt pour solidarité). Certes, ces différentes mesures ont un impact positif direct sur les conditions de vie des salarié·e·s les plus précaires. Cependant, non seulement ces différentes mesures coûtent-elles très cher (plus de 3milliards$), elles représentent des subventions indirectes aux entreprises, car celles-ci peuvent continuer à exécuter leurs activités sans avoir à fournir un salaire décent à leurs employé·e·s.
Il ne faut pas se leurrer : alors que le gouvernement souhaite épargner les entreprises avec une hausse « raisonnable », les intérêts du patronat sont presque toujours inconciliables avec ceux des salarié·e·s. Des employeurs ont d’ailleurs déjà saisi l’opportunité que présentait la hausse pour justifier des dégradations des conditions de travail : sitôt la hausse en vigueur, le patron de deux Tim Hortons de Cowansville a retiré les pauses de 15 minutes payées aux salarié·e·s, supposément afin de « compenser » l’augmentation de sa masse salariale.
Les avantages d’une augmentation significative
Une augmentation des recettes de l’État
En opposition complète au discours patronal, l’IRIS affirme de son côté qu’une augmentation du salaire minimum à 15$ de l’heure permettrait d’engranger de nouveaux revenus pour l’État. Les simulations réalisées par l’institut de recherche démontrent que les travailleurs·euses seraient en mesure de contribuer davantage aux caisses du gouvernement. Celles-ci connaîtraient alors une hausse estimée entre 972M$ et 1425M$. De plus, les deux paliers de gouvernement verraient le coût de certains des programmes de transfert diminuer, et ce, pour un montant compris entre 230M$ et 309M$. En outre, l’augmentation du pouvoir d’achat de ces personnes aurait des répercussions sur la consommation et, par conséquent, sur les taxes payées.
Revaloriser certaines professions
Parmi les autres bienfaits, une hausse significative du salaire minimum permettrait de revaloriser certaines professions déconsidérées. « Les gens qui travaillent au salaire minimum ont énormément de compétences, de savoirs faire, explique Virginie Larivière. Ils travaillent souvent directement avec le public, ça demande énormément de doigté. On est nécessairement appelé à être ponctuel, affable, bienveillant. Il faut travailler rapidement, souvent sous pression. » Selon elle, un meilleur salaire leur permettrait d’être mieux considérés et fiers de leur emploi
Un effet de contagion positif
En 2012, Jean-François Boivin, chercheur au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, estimait que l’augmentation du salaire minimum en 2010 avait eu des répercussions capitales sur les salaires légèrement plus élevés que le salaire minimum en raison d’un effet d’émulation salariale. « Règle générale, ce qu’on observe dans les études, c’est que les salaires des emplois jusqu’à 20% au-dessus du salaire minimum vont être augmentés dans la foulée », explique Mme Larivière. Cet effet de débordement serait causé par la nécessité pour les entreprises d’attirer et de retenir des travailleurs·euses ou de respecter des clauses de convention collective.
D’autres mesures nécessaires
Concrètement, malgré la hausse de salaire, nombre de personnes travaillant dans des domaines « non qualifiés » devront continuer de gratter les fonds de tiroirs, d’une paye à l’autre. Les emplois au salaire minimum avoisinent plus souvent les 30 heures que les 40 heures/semaine ; ils ne leur permettront donc pas de « bien manger », d’acheter des vêtements chauds à convenance, de parer aux imprévus. Le minimum décent, c’est ce que demande la campagne 5-10-15. Les objectifs de l’initiative sont simples : faire en sorte que les travailleuses et travailleurs non syndiqués du Québec connaissent 5 jours à l’avance leur horaire de travail, bénéficient de 10 jours de congé payés par année en cas de maladie ou de responsabilités familiales, enfin qu’ils et elles gagnent minimalement 15$ de l’heure. Au-delà des chiffres, une hausse significative du salaire minimum pourrait être garante de l’amélioration des conditions de vie de la population québécoise.
Si le gouvernement se cache derrière l’argument comptable patronal, les arguments économiques – tout aussi rationnels – de la coalition qui anime la campagne 5-10-15 et de l’IRIS dévoilent le caractère politique des décisions prises. Il est grand temps que le gouvernement assume sa responsabilité d’assurer des conditions de travail et un niveau de vie décent à sa population, et ce, en respectant la dignité de tous et toutes.
[1] Lire M. Dufour et P.-A. Harvey, « Salaire minimum et revenus gouvernementaux », disponible sur le site web de l’IRIS. Plusieurs des informations de ce texte proviennent de cette publication.