Dossier : Saguenay - Lac-St-Jean. Chroniques d’un royaume
Des médias régionaux vulnérables
Où que vous soyez au Québec, les médias vont mal et les rapports s’accumulent pour le confirmer. Dans cet enjeu, il est néanmoins important de noter le déséquilibre qui existe entre le centre et les périphéries ainsi que la diminution de la production d’information originale dans les régions, comme l’a établi le rapport Payette en 2010.
Les deux derniers bilans produits par Influence Communication confirment en effet que les citoyen·ne·s du Québec ignorent ce qui se passe en Estrie, en Gaspésie ou en Abitibi. Ils ont une vision tronquée des enjeux québécois. Qu’en est-il des médias au Saguenay–Lac-Saint-Jean ? S’il est difficile de faire un portrait complet, voyons quelques indicateurs permettant d’évaluer sommairement la situation.
Les journalistes
Les journalistes sont les rouages d’une presse libre. Leur nombre et les contextes de travail dans lesquels ils et elles évoluent influencent la production d’une information de qualité. C’est lorsque les conditions de travail sont adéquates que les journalistes peuvent aller au-delà de la couverture superficielle de l’actualité et faire du journalisme d’enquête, par exemple.
Le Saguenay–Lac-Saint-Jean compte différents médias locaux et régionaux, dont certains ont une salle de rédaction. Outre le nombre de journalistes, les compressions et restructurations ont des effets sur la production elle-même. En juin 2014, Radio-Canada a mis fin à l’émission régionale de fin de semaine et Capital Médias a cessé en avril dernier la publication de l’hebdomadaire Progrès-Dimanche. Dans les derniers mois, TVA a coupé sa couverture médiatique la fin de semaine et transféré la réalisation des nouvelles à Québec. Leurs bulletins seront désormais préenregistrés et ne permettront plus les interventions en direct. Ces exemples illustrent une détérioration continue qui mine la qualité de l’information et pénalise ainsi les citoyen·ne·s de la région.
Les journalistes en font d’ailleurs eux-mêmes les frais. Selon la direction du Quotidien / Le Progrès week-end, le journal a perdu trois journalistes en cinq ans. On y compte 23 journalistes, dont une quinzaine affectée à la couverture médiatique. Même situation pour Radio-Canada Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui a supprimé trois postes de journaliste et procédé à la conversion de deux autres au Web. Kate Tremblay, présidente du syndicat à TVA Saguenay–Lac-Saint-Jean, indique que si le nombre de journalistes n’a pas vraiment diminué de leur côté, il en est autrement du total des employé·e·s, une situation qui illustre bien l’importance du contexte de travail. Madame Tremblay explique en effet que les changements technologiques, la diminution des surnuméraires et la perte d’emplois dans les équipes de travail augmentent la charge de travail des journalistes et diminuent le temps disponible pour approfondir les dossiers ; il faut alors oublier les enquêtes, qui demandent du temps et ne sont pas toujours concluantes.
Dans ces conditions, il faut aussi prendre en compte la réalité territoriale : l’étendue du Saguenay–Lac-Saint-Jean devient une véritable contrainte. Par exemple, lors du forum sur la critique tenu en 2017, Julie Larouche, seule journaliste culturelle à Radio-Canada SLSJ, expliquait que couvrir un seul événement au Lac-Saint-Jean peut prendre toute une journée.
L’actualité municipale
L’information est vitale en démocratie et elle passe par « le journalisme civique qui couvre les affaires publiques et décisions politiques » [1], notamment celles des municipalités. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) recense les cas où des journalistes ont rencontré des obstacles en couvrant l’actualité municipale au Québec. Selon la FPJQ, Saguenay fait figure de mauvais exemple. L’organisme publiait en effet en 2010 le « Dossier noir sur l’information municipale à Saguenay ». Au menu : boycottage, dénigrement, intimidation et chantage publicitaire. Par exemple, Pascal Girard, du Quotidien, s’est vu menacé de poursuites judiciaires à la suite de la publication d’un article sur le coût du quai de croisières. Véronique Dubé, alors journaliste d’enquête à Radio-Canada, couvrait la politique municipale et essuyait des propos inacceptables et des boycottages.
En plus des mauvaises conditions de travail pouvant décourager les journalistes, cette situation a deux conséquences importantes. D’abord, les citoyen·ne·s n’ont pas accès à toutes les informations qui leur permettraient de mieux comprendre les enjeux qui les touchent. Ensuite, la pression est plus forte sur les propriétaires de médias qui jonglent déjà avec des diminutions de revenus publicitaires. Rappelons qu’une presse véritablement libre devrait être financièrement indépendante.
Les effets de proximité
Si la région est vaste, la population, relativement peu nombreuse, est regroupée en petits milieux. Il y a un effet de proximité : celui du « tout le monde se connaît », des liens familiaux et des cercles d’intérêts.
L’autre effet de proximité, plus subtil, est le fait que les membres des médias (dirigeants, journalistes, vendeurs publicitaires, etc.) appartiennent à la même communauté que les citoyen·ne·s qu’ils informent. Jusqu’à quel point les médias sont-ils imperméables aux réactions de leur concitoyen·ne·s dans le contexte socio-économique, politique et culturel ? Par exemple, la situation économique est-elle propice à l’autocensure ou la complaisance ? Dans un contexte de morosité économique, il est délicat de questionner ce qui est perçu ou présenté comme une nouvelle positive : ouverture d’une entreprise, arrivée d’un gros bateau, investissements dans les infrastructures (croisières et autres), etc. Interroger la qualité des emplois, le rapport coûts et bénéfices ou les aspects éthiques d’un projet est souvent jugé comme une attitude négative. « Les bonnes nouvelles sont rares, profitons-en ! » est-on censé se dire devant les annonces économiques de tous ordres. Pourtant, plusieurs projets méritent d’être attentivement examinés par les journalistes, notamment dans les secteurs minier et gazier, pour ne citer que ceux-là.
La difficulté est double en raison de la proximité idéologique des élus avec les promoteurs et la grande entreprise. Les projets d’extraction bénéficient à l’avance d’un appui politique du premier ministre Couillard, des élus municipaux et des lobbys privés. Dans le secteur forestier, le groupe Alliance forêt boréale, formé des quatre préfets et du maire de Saguenay, est un bel exemple. Sans nier la légitimité d’une démarche de défense des emplois en forêt, on peut s’inquiéter de la portée du discours qui défend l’industrie contre les organisations de contre-pouvoir. Jean-Pierre Boivin, préfet de la MRC Maria-Chapdeleine, se fait ainsi régulièrement porte-parole pour défendre Produits forestiers Résolu. En 2015, il demandait une modification à la loi sur les poursuites-baillons pour que les compagnies puissent « faire taire » les groupes écologistes. Une approche qui rappelle la charge du maire Tremblay contre « les intellectuels et les groupes écologistes ».
Les tabous régionaux, la peur de perdre des emplois et les commandites injectées par la grande entreprise alimentent une ambiance où les journalistes sont susceptibles de passer pour des trouble-fête [2].
Des médias fragilisés
Un média n’est pas un produit, mais un maillon essentiel de la démocratie. Les médias au Saguenay–Lac-Saint-Jean sont vulnérables. Les journalistes ont moins de temps pour faire leur travail, les équipes sont réduites et font face à de sérieux problèmes d’accès à l’information. La pression sur les revenus est aussi plus forte. En même temps, le gouvernement souhaite transférer des responsabilités aux municipalités en enlevant des mécanismes de consultation, de reddition de comptes et la publication des avis dans les médias (ce qui représente une autre perte de revenus). Dans ce contexte, les médias peuvent-ils jouer leur rôle d’information auprès du public ? Les citoyen·ne·s du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont-ils accès à une information de qualité pour saisir tous les tenants et aboutissants des enjeux politiques ? Les quelques exemples donnés ici permettent d’en douter et nous invitent à une vigilance accrue.
[1] Tirée de Le Miroir éclaté. Nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique. Forum des politiques publiques, janvier 2017.
[2] Le cas de Rio Tinto est similaire et mériterait une analyse plus poussée. Notons quand même que le premier ministre du Québec a défendu la compagnie lorsqu’elle a annoncé 103 suppressions de postes en janvier dernier. Une section syndicale défend la grande entreprise dans le dossier litigieux des boues rouges. Finalement, Rio Tinto, la Ville de Saguenay et la Chambre de commerce de Saguenay ont boycotté le forum Pacte social aluminium tenu en septembre 2016.