Aliments, eau et énergie ne sont pas des marchandises !

No 070 - été 2017

International

Aliments, eau et énergie ne sont pas des marchandises !

Roselyne Gagnon, Marie-Ève Marleau, Éva Mascolo-Fortin, Amelia Orellana

Quelles stratégies adopter pour lutter contre la marchandisation de l’énergie et de la nature ? C’est avec cette question complexe en tête que 32 organisations sociales, syndicales, environnementales, autochtones et de droits humains provenant de 11 pays se sont réunies à Newark, aux États-Unis, pour le deuxième séminaire international « Aliments, eau et énergie ne sont pas des marchandises ». L’événement avait lieu du 12 au 14 mars 2017.

Les participant·e·s ont, à cette occasion, réfléchi à la notion d’une transition énergétique juste et à la nécessité de la convergence des mouvements sociaux pour faire face aux crises politiques, sociales et environnementales actuelles. La rencontre était convoquée par le Movimento dos Atingidos por Barragens (Mouvement des personnes affectées par les barrages du Brésil – MAB) ainsi que par le Groupe de solidarité avec le MAB des États-Unis. Le MAB est un mouvement national, autonome et populaire de résistance formé par et pour les personnes affectées par les barrages. Leur objectif est de défendre leurs droits et de lutter contre le modèle énergétique actuel ainsi que pour la construction d’un projet populaire national. Depuis une vingtaine d’années, le MAB cherche à bâtir et à renforcer des liens avec des groupes de différents pays dans une perspective d’internationalisation des luttes afin de les connecter entre elles, de créer des espaces pour partager des analyses et expériences et de développer une synergie contre des cibles communes.

Après un premier séminaire tenu en 2013 à Bilbao, au Pays basque, la deuxième édition de la rencontre a permis de réfléchir sur une variété de thèmes : de la justice écologique aux causes structurelles de l’échec du modèle capitaliste en passant par la marchandisation de l’énergie et de la nature, le capitalisme vert, les agissements des compagnies transnationales, les alternatives à construire ainsi que les luttes populaires contre les mégaprojets et pour la défense du territoire. Le Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL) était présent à cette rencontre, parmi plusieurs autres organisations de différents pays.

Les mouvements sociaux s’organisent

La rencontre se tenait dans un contexte particulier, alors que l’arrivée de Donald Trump au pouvoir et la montée du populisme de droite aux États-Unis représentent un recul majeur pour le respect des droits humains et un approfondissement du modèle économique néolibéral. En Amérique latine, les forces conservatrices connaissent aussi une période de progression dans plusieurs pays. Au Brésil, au Honduras et au Paraguay notamment, les coups d’État des dernières années, soutenus par les États-Unis et le Canada, entre autres, ont eu comme conséquence la privatisation des ressources énergétiques. Ces coups ont permis l’accaparement du patrimoine pub1lic par des intérêts privés et ont vu augmenter les attaques et la persécution contre les mouvements sociaux et les défenseur·e·s des droits humains, de l’environnement et des territoires.

La crise actuelle, résultat de l’influence croissante des acteurs transnationaux, est aussi perçue comme un moment d’expérimentation pour les mouvements sociaux afin de bâtir des alternatives systémiques. La conjoncture, en ce sens, pourrait donc se présenter comme une opportunité de donner un caractère plus international à nos luttes et de rendre visibles les différentes manières dont nous sommes affecté·e·s par le modèle dominant. Le système de domination patriarcal, raciste, colonialiste et capitaliste nous affecte tous et toutes et appelle à créer des jonctions entre divers mouvements sociaux, tels que les mouvements pour une transition énergétique juste de même que pour les droits des travailleuses et travailleurs, des migrant·e·s, des peuples autochtones, des femmes et des personnes racisées.

L’énergie au coeur de la lutte contre le capitalisme

Les groupes réunis lors du séminaire étaient unanimes quant au caractère central du débat énergétique dans la lutte contre le pouvoir hégémonique et à la nécessité de repenser l’énergie pour mieux riposter au système capitaliste dominant. En effet, l’énergie est l’élément clé utilisé par le système pour accélérer la productivité et ainsi générer rapidement plus de profits. Les élites économiques tentent donc par tous les moyens de s’approprier et de contrôler les sources d’énergie les plus rentables et les technologies les plus efficaces. Les politiques énergétiques actuelles visent essentiellement à répondre à la demande du marché et des grandes corporations ainsi qu’à favoriser l’accumulation privée. Cette situation pousse les mouvements sociaux, les organisations populaires et les organisations de travailleurs·euses à discuter de la construction d’un modèle énergétique qui ait comme objectif la souveraineté des peuples, le respect des communautés affectées et qui soit sous contrôle populaire.

Face à la vague de privatisation de secteurs stratégiques tels que l’énergie, l’eau et l’alimentation, des groupes ont mis en avant le concept de transition juste. Cette transition préconise le rapprochement des luttes des personnes affectées de multiples façons par le modèle énergétique : hausses de tarifs restreignant l’accès à l’énergie, contamination de l’eau, de l’air ou de la terre, répression ou déplacements forcés provoqués par l’imposition de projets énergétiques ou encore conditions de travail précaires pour les travailleurs et travailleuses de ces secteurs.

Considérant la multiplicité des impacts du modèle énergétique, plusieurs groupes ont souligné l’importance d’intégrer une analyse systémique et de construire des alliances entre différents secteurs. Au Brésil, par exemple, le MAB est parvenu à former des alliances et des espaces d’échanges entre des personnes affectées par les barrages et les ouvriers et ouvrières des entreprises hydroélectriques. Des représentantes et représentants syndicaux brésiliens mentionnaient à ce titre que l’articulation des luttes, avec la nécessité pour les communautés de s’approprier les connaissances techniques et politiques sur le fonctionnement du modèle énergétique, est l’un des principaux éléments à mettre en avant pour pouvoir faire face à des compagnies du secteur de l’énergie toujours plus puissantes.

Aux États-Unis, le groupe Just Transition a pour sa part facilité un rapprochement entre les syndicats d’ouvriers industriels et des personnes de communautés affectées par la contamination environnementale. Ce croisement d’expériences a permis aux différents acteurs d’approfondir leur compréhension du modèle énergétique et des impacts de celui-ci sur la population, particulièrement sur les classes populaires qui sont les plus affectées par la pollution, les hausses de tarifs, les mauvaises conditions de logement, etc. En outre, les groupes des États-Unis ont souligné que le racisme environnemental était de plus en plus généralisé, les groupes directement touchés par les impacts du modèle énergétique étant les communautés autochtones, noires et latino-américaines.

Nous sommes toutes et tous affectés !

Le séminaire s’est conclu avec un appel à l’action [1] : les organisations présentes ont souligné l’urgence d’élargir les alliances et de faire un travail de base pour rejoindre une plus grande partie de la population afin de construire une véritable force sociale.

L’élaboration de stratégies communes, ainsi qu’une convergence des mouvements sociaux, environnementaux, de justice sociale, des femmes, des travailleurs·euses et des groupes communautaires luttant contre le racisme et la discrimination, parmi d’autres, est plus que jamais nécessaire.

Les nouvelles alliances entre nos mouvements doivent être forgées dans une optique de solidarité entre les peuples et d’unité entre les différents types d’organisations prêtes à lutter contre le capitalisme et le patriarcat. Les participant·e·s se sont entendus sur la nécessité de poursuivre l’élaboration d’une analyse conjointe par les organisations actives pour la défense de l’eau, la souveraineté alimentaire et la transition vers un modèle énergétique juste afin de construire des réponses collectives pour la préservation des biens communs et la justice sociale.


[1Disponible en français sur le site du CDHAL.

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