Dossier : Saguenay - Lac-St-Jean. Chroniques d’un royaume
Quels défis de Québec solidaire au Saguenay ?
Huit pour cent, c’est le résultat obtenu par le candidat de Québec solidaire aux dernières élections partielles d’avril 2016 dans la circonscription de Chicoutimi. C’est également le meilleur score de la formation dans la région du Saguenay depuis sa création en février 2006. Onze ans plus tard, quel bilan peut-on faire du chemin parcouru par Québec solidaire au Saguenay ?
C’est le secret le moins bien gardé de la région : le Saguenay est une terre conquise au projet de souveraineté du Québec. Cet appui s’avère lorsque l’on s’attarde aux résultats des deux référendums sur la question. Les électeurs·trices du comté de Saguenay ont appuyé à 73,33% la souveraineté au référendum de 1995, le résultat le plus élevé de tout le Québec. Ce soutien s’explique en grande partie par l’appui important accordé au Parti québécois dans la région, et vice versa.
Depuis 1973, les électeurs·trices de la circonscription de Chicoutimi ont en effet élu sans interruption des députés péquistes, la plus longue lignée au Québec. Cette aura bleue est incarnée par une élite politique personnifiée par de grands noms qui règnent en maître chez eux, parfois même de père en fils. Elle n’est cependant pas sans faille : un député libéral aura réussi à conquérir le comté voisin, Dubuc, à trois reprises depuis la création du Parti québécois.
La région n’échappe pas non plus à la baisse d’intérêt généralisée pour l’indépendance du Québec, mais s’en sort mieux qu’ailleurs, avec encore 45% d’appui selon un sondage en 2013. Cet appui important au PQ s’explique également par la tendance à voter en fonction du parti qu’on aimerait le plus voir perdre, au lieu de voter pour celui qu’on aimerait le plus voir gagner. Cette propension au vote stratégique, conjugué au mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour, additionné à l’héritage péquiste très fort, défavorise Québec solidaire dans la région, peut-être encore plus qu’ailleurs.
L’héritage des grandes compagnies
Un autre attribut spécifique de la région, c’est la présence de grandes industries dans son économie. Le Saguenay s’est initialement développé par les grandes entreprises et a toujours historiquement compté sur elles pour survivre. La majeure partie de celles-ci exploitent les ressources naturelles (forestière) ou font la transformation primaire des ressources (aluminium). Ce sont surtout de grandes entreprises qui y œuvrent, comme Rio Tinto (Alcan) ou Produit forestiers Résolu (AbitibiBowater).
Tout le monde au Saguenay a quelqu’un dans son entourage immédiat qui y a travaillé, y travaille encore ou rêve d’y travailler plus tard. Ce sont souvent des emplois bien rémunérés (et occupés, soulignons-le, par des hommes en majorité), qui font l’envie de plusieurs et entraînent un nombre important d’emplois indirects reliés notamment au secteur des services. Pourtant, le nombre d’emplois que ces industries génèrent est en baisse constante et les conditions de travail de ces emplois se dégradent, notamment par le recours de plus en plus important à la sous-traitance et à l’automatisation.
Cette réalité teinte aussi le discours politique régional. Bien que la présence de ces grandes industries ait contribué à l’essor des syndicats qui y font face, on ne peut nier que les intérêts défendus par ceux-ci passent surtout par la défense de la région à travers les intérêts des compagnies. À preuve, la campagne de 2015 contre Greenpeace, que l’on a accusé de vouloir sacrifier l’économie de la région pour des considérations écologiques et auquel à la fois les représentants politiques régionaux et les représentants syndicaux ont fait largement écho. Il devient ainsi difficile de se fier à ce syndicalisme d’affaires pour renouveler le discours politique et économique.
De cette mentalité soumise aux donneurs d’ouvrage émerge malheureusement le préjugé que Québec solidaire est contre tous les projets économiques susceptibles de prendre naissance dans une région ressource comme le Saguenay.
Une progression constante malgré les obstacles
Rompre avec le PQ, tout comme repenser le modèle économique régional, n’a rien de facile. Cependant, le portrait des forces progressistes dans la région n’est pas complètement noir pour autant. Plusieurs se souviennent encore de la campagne électorale de 1998, où un certain Michel Chartrand avait réussi à obtenir près de 15 % des voix contre le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, dans le comté de Jonquière.
Les obstacles sont certes nombreux, mais pas infranchissables selon Pierre Dostie, le candidat de QS aux dernières élections partielles dans Chicoutimi. Le pourcentage des suffrages accordé au parti de gauche dans la région du Saguenay ne cesse d’ailleurs d’augmenter. Selon le candidat, le mouvement citoyen se mobilise plus que jamais contre les politiques d’austérité du Parti libéral, notamment par les mouvements communautaires – la Coalition Main rouge en est un bon exemple.
Cette lutte contre l’austérité libérale est porteuse d’espoir pour les forces progressistes. Le plus grand défi selon Pierre Dostie : « Convaincre les gens qui pensent comme nous de voter pour nous. » Pour cela, il faut « combattre les préjugés que Québec solidaire s’oppose à tous les projets de société, notamment économiques, mais aussi contrer la tradition du vote péquiste et travailler pour obtenir un mode de scrutin qui laisse la place à une plus juste représentation ».
Dans une perspective plus pragmatique, il est certainement plus difficile dans une région comme la nôtre que dans une métropole de trouver des personnes prêtes à s’impliquer dans un parti politique et de cultiver une relève, ne serait-ce qu’à cause d’une population moins nombreuse sur un territoire beaucoup plus vaste. Composés de retraité·e·s de la fonction publique, de travailleurs·euses communautaires ou de représentantes et représentants syndicaux, les comités exécutifs locaux de Québec solidaire doivent travailler toujours plus fort pour maintenir en place leur réseau de militant·e·s ainsi que leur nombre de membres. Les jeunes s’impliquent, mais notre région étant ce qu’elle est, plusieurs décident de la quitter pour les études, laissant parfois un trou difficile à combler et à stabiliser.
QS a la capacité de mobiliser
Comme une ritournelle, une question revient sur toutes les lèvres quand on discute de Québec solidaire et des régions : la formation de gauche est-elle un parti trop montréalais pour espérer percer en région ? Alors que l’appui obtenu par la formation en avril 2014 était de 12,63% sur l’île de Montréal, il était de 6,45% dans le reste du Québec. À première vue, le Saguenay ne semble pas faire exception à cette réalité. On retrouve pourtant dans sa plate-forme politique de nombreuses mesures visant spécifiquement les régions telles que la décentralisation des pouvoirs vers les autorités locales, l’opposition à l’acquisition des terres agricoles par des conglomérats ou encore l’importance de s’assurer que les régions touchent les retombées économiques des projets énergétiques communautaires.
Avec les années, QS a également acquis de plus en plus de crédibilité sur la question nationale. Le défi premier reste donc celui de mieux communiquer ses positions. L’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois, qui prétend vouloir faire sortir le parti de Montréal, est porteuse d’espoir. Alors qu’il a fait salle comble à Chicoutimi lors de sa tournée avec « Faut qu’on se parle », on ne peut qu’être empreint d’enthousiasme par rapport à son arrivée et espérer qu’au Saguenay comme ailleurs, il saura apporter du sang neuf. La tournée Faut qu’on se parle était aussi une démonstration de la volonté populaire d’un réel changement au Québec.
Le rôle et l’importance de Québec solidaire ne se jouent pas seulement sur le nombre de député·e·s à l’Assemblée nationale et sur leur provenance, mais aussi sur le fait d’occuper le discours politique de gauche. QS a aujourd’hui l’occasion de mieux se faire connaître : de nombreux projets d’envergure dans la région méritent une attention particulière. Nous n’avons qu’à penser au projet d’Énergie Saguenay, qui souhaite construire un complexe de liquéfaction de gaz naturel à proximité du fjord. Les impacts d’un tel projet pourraient s’avérer dramatique tant au plan environnemental que sécuritaire, sans pour autant livrer les promesses faites quant au nombre d’emplois créés.
Voilà un exemple concret qui pourrait permettre aux forces progressistes de la région de se mobiliser et à Québec solidaire d’occuper l’espace politique régional de gauche, tant en formulant un discours crédible sur la question qu’en proposant des alternatives responsables réellement créatrices d’emplois.