Dossier : Saguenay - Lac-St-Jean. Chroniques d’un royaume
La partie invisible de l’iceberg
« J’aime les poèmes en vers, c’est ma couleur préférée » - Coluche
Existe-t-il au Saguenay–Lac-Saint-Jean un milieu de création et d’encouragement pour que les artistes de toutes disciplines s’expriment malgré leurs moyens financiers limités ? Pour ces artistes qui ont évidemment pris la décision de vivre là où ils ou elles sont, sans plier bagage pour la grande ville comme tant d’autres…
Si vous doutez de l’existence d’un tel milieu pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ) et aussi pour les autres régions, vous devriez regarder plus régulièrement les capsules que produit Télé-Québec sur la plateforme La Fabrique culturelle. Elles ne sont visibles que sur la Toile (lafabriqueculturelle.tv). Grand dommage à notre avis. Ces émissions reflètent magistralement le dynamisme culturel des régions du Québec et confirment l’originalité de chacune. Dans les bureaux de Télé-Québec œuvrent régulièrement des cinéastes qui s’arrachent la vie entre deux subventions pour des projets plus personnels. Bref, pour qu’il y ait une vie culturelle intense dans une région, il faut d’abord y trouver des artistes qui créent envers et contre tout. C’est le cas au Saguenay.
Un creuset artistique
En cinéma, REGARD, le Festival international du court métrage au Saguenay, propulse depuis plus de vingt ans des cinéastes qui tournent des courts, et puis des longs, entièrement ici, comme Sébastien Pilote. Des organismes structurants tels la Bande Sonimage et le Bureau du cinéma offrent des services variés permettant aux artisans du 7e Art de créer ici presque à l’année. Le département des arts de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a contribué à favoriser l’incubation d’un solide bassin de réalisateurs·trices et de technicien·ne·s ainsi que des organismes en arts visuels. La région regorge d’artistes visuels de toutes sortes et de structures de soutien qui se sont régénérées récemment. À Chicoutimi, le Centre Bang (issu de la fusion de la Galerie Séquence et d’Espace Virtuel), les Ateliers TouTTouT, Le Lobe, le Centre Sagamie et Langage Plus à Alma sont fréquentés par des créateurs et créatrices de tous les niveaux, d’ici et d’ailleurs. On peut également souligner la Chaire de recherche en dramaturgie sonore de l’UQAC présente dans plusieurs projets théâtraux.
Environ une dizaine de troupes de théâtre occupe le calendrier l’année durant. Un événement essentiel, le FIAMS (Festival international des arts de la marionnette à Saguenay) – que le milieu théâtral régional a sauvé collectivement – se tient tous les deux ans pour confronter les artisans d’ici avec ceux d’ailleurs. Les comédiennes et comédiens régionaux y font des prestations remarquées et créent des réseaux qui leur permettent de rayonner internationalement.
L’Orchestre symphonique du SLSJ, le Conservatoire de Chicoutimi et le Camp musical de Métabetchouan permettent à plusieurs musiciens de ne pas traverser le Parc une fois pour toutes. À Jonquière, le FMC (Festival des musiques de création), un des deux festivals de musique actuelle au Québec, fondé par Pierre Dumont, accueille des musicien·ne·s qui pratiquent la musique actuelle, l’improvisation ainsi que des formes sonores hybrides. La scène musicale, qui est vraiment l’œuvre de musiciennes et musiciens saguenéens, se développe autour du Centre d’expérimentation musicale, de la regrettée Ligue d’improvisation musicale – mise en dormance pour cause de financement anémique – et de petits endroits de diffusion tels le Bar à pitons, le Sous-Bois (Chicoutimi) et l’Espace Côté-Cour (Jonquière).
La région voit un corpus d’écrivain·e·s de valeur profiter du Salon du livre du SLSJ pour se mettre en lumière et rencontrer lecteurs·trices et écrivain·e·s d’ailleurs. Nous sommes pourvus d’une association, l’Association des écrivains de la Sagamie-Côte-Nord, de trois librairies indépendantes et de bibliothèques dignes de ce nom à Chicoutimi et Jonquière qui diffusent des activités la plupart du temps gratuites.
Des collectifs de création sont aussi à l’œuvre sur le territoire tels Slam-Saguenay, qui profite d’un beau succès ; le Clan des mots, qui organise des soirées de lecture ; et les Poèmes animés, qui se consacrent à des événements de médiation littéraire. La maison d’édition La Peuplade célébrait en outre l’été dernier son cinquième anniversaire. Elle publie des ouvrages de plus en plus primés et reconnus par les lecteurs·trices et la critique. Une publication bisannuelle, Zone occupée, éditée à Alma, souligne également le dynamisme du milieu culturel de la « région 02 ». De nombreux fanzines réalisés au Saguenay sont disponibles à la librairie d’art Point de suspension, attenante au Centre Bang.
Un appui institutionnel crucial
Ceci n’est qu’un portrait très succinct du milieu culturel saguenéen et un pâle reflet de celui du Lac. Nous n’avons pas parlé des artisans, des maîtres d’art, des publications numériques, des regroupements multidisciplinaires, des indépendants, d’art lyrique, de danse, des travailleuses et travailleurs culturels divers qui permettent la tenue d’évènements publics… Ce milieu est un écosystème, où tous se croisent et collaborent à un moment ou à un autre.
Afin de supporter ce milieu bouillonnant, il y a des infrastructures municipales de plus en plus efficaces. Le Conseil des arts de Saguenay, fondé il y a dix ans, décerne chaque année des sommes recommandées par des jurys de pairs. Évidemment, les demandes sont plus nombreuses que les fonds disponibles, mais de nombreux efforts sont faits pour augmenter ceux-ci. À la Ville de Saguenay, une équipe de fonctionnaires municipaux gagnés au développement culturel a permis aux conseillers et au maire de voir dans les investissements culturels autre chose qu’une dépense nette. Notez qu’il a fallu des années avant de rendre prioritaire la construction de nouvelles bibliothèques. La fréquentation de ces lieux justifie amplement les investissements encourus.
Dans notre vie culturelle, il arrive souvent de devoir planifier les sorties pour ne pas rater deux ou trois vernissages, deux lancements de livre, un concert et une soirée de poésie. Si ce sont les artistes qui animent la vie culturelle d’une communauté, ceux de chez nous travaillent fort… parfois pour pas grand-chose, parfois trop, parfois en connaissant du succès hors de la région. La culture va assez bien chez nous, mais les créateurs et créatrices travaillent avec acharnement à la faire bien aller. Ils et elles y consacrent toute leur énergie en comptant sur la complicité des camarades artistes (et d’un public fidèle gagné à leur cause), qui circulent d’un champ culturel à l’autre, la plupart du temps pour rendre les choses possibles. Car au SLSJ, l’entraide culturelle semble inventée pour pallier le manque de soutien financier chronique pour les artistes. Ainsi, un cinéaste peut se retrouver complice sur un plateau de théâtre, dans un festival de musique, à une soirée de poésie ou un vernissage sans se sentir de trop. Il vit de ces métamorphoses. L’artiste au SLSJ est une sorte de bête à plusieurs têtes.