Dossier : Saguenay - Lac-St-Jean. Chroniques d’un royaume
Prendre le virage du royaume !
Propos recueillis par Claude Côté
Du 29 juin au 2 juillet, dans le joli village de Sainte-Rose-du-Nord, le festival Virage, fabrique d’idées, en sera à sa troisième édition. Marielle Couture, l’une des co-organisatrices de l’événement, a accepté de répondre à nos questions.
À bâbord ! : Quelles sont les origines du festival Virage ?
Marielle Couture : D’un point de vue mythique, Virage est la manifestation estivale d’une suite rituelle saisonnière. Sur le lieu-dit la Terre des Vikings prend vie chaque saison un rite particulier : un carnaval automnal (la Funéraille des beaux jours), un carnaval hivernal (le Sasquatch) et il y a eu, dans un passé tout aussi mythique, le Fabuleux festival international du folk sale. Ces événements sont nés de la réflexion de jeunes familles allumées et dynamiques récemment installées dans le petit village de 415 habitant·e·s et qui souhaitaient créer des rituels culturels qui leurs seraient propres, autant pour célébrer la vie que pour réfléchir aux liens qui existent entre les humains et la nature. Car à Sainte-Rose-du-Nord au Saguenay, il y a encore des saisons franches !
Virage, c’est une rencontre, des valeurs communes, un trop plein d’indignation face aux crises multiples engendrées par le néolibéralisme et un sentiment partagé d’impuissance. Une idée a germé, elle est devenue tenace et avec beaucoup de travail, elle est devenue possible : un étrange festival politique, multidisciplinaire et festif, en région. La première édition de Virage s’intitulait « Fabrique d’idées pour survivre à 2015 ». L’idée était de rassembler des groupes d’affinités afin de réfléchir aux actions pour agir concrètement et positivement. Ce « chantier de réflexion » se terminait par la Folle machine à solutions, un moment de dialogue et de démocratie participative où chaque participant·e était invité·e à soumettre des idées, à proposer de nouvelles réflexions ou à partager un apprentissage. Le résultat a confirmé la pertinence du festival. Dorénavant, les aspects socio-écologiques deviendraient le thème central. Ce qui a allumé l’étincelle d’une seconde édition.
ÀB ! : Quelles sont les motivations derrière ce festival ?
M. C. : La philosophie originale de Virage est d’aborder les grandes transformations nécessaires – la transition socio-écologique –, selon trois dimensions : la tête, les mains et le cœur. La tête, c’est pour se décoloniser l’imaginaire. Il faut comprendre notre monde par ses dimensions théoriques et conceptuelles. Les mains, c’est pour (ré)apprendre à faire des choses : jardiner, réparer les objets, cuisiner et transmettre ces savoir-faire. Le cœur, il est là pour inventer de nouvelles éthiques qui permettraient de se relier à soi, aux autres et à la nature. Le tout dans une ambiance de fête, de musique et de cirque, car c’est un festival !
Faire la fête fait aussi partie de nos motivations parce c’est dans le plaisir qu’on exulte. En misant sur le plaisir et les expériences innovantes. Nous provoquons la rencontre entre des chercheurs·euses, des artistes, des citoyen·ne·s, des enfants et le public. Cette rencontre permet à chacun·e de s’outiller pour retourner dans sa propre communauté avec des idées et un réseau pour aider à les concrétiser.
ÀB ! : Pourquoi avoir choisi Sainte-Rose-du-Nord comme lieu pour tenir ce festival ?
M. C. : Sainte-Rose-du-Nord, c’est notre milieu de vie. Nous avons fait le choix d’occuper ce territoire avec nos familles et d’y générer une économie différente des activités habituelles. La première édition de Virage a créé un effet d’entraînement et, désormais, des personnes de partout au Québec contribuent au projet.
ÀB ! : Qui fait partie de l’organisation ?
M. C. : Le festival est une co-création de quatre ami·e·s : Nancy Lavoie, Marco Bondu, Ian Segers et moi-même. Nous nous partageons le travail d’idéation, de programmation, de logistique, de coordination et de communication. Ce travail est enrichi par un noyau de personnes de toutes provenances, engagées, motivées et généreuses qui donne un sérieux coup de main à toutes les étapes du processus.
ÀB ! : Quels sont les objectifs de votre festival ?
M. C. : Pour nous, il est urgent de (ré)investir l’espace public, de protéger et de consolider les espaces démocratiques, de protéger les écosystèmes et les cultures. De manière plus générale, notre objectif est de nous préoccuper de notre avenir global. Virage, c’est une forme de résistance positive, une invitation propice aux rencontres, à l’échange, au contact entre diverses disciplines et idées. L’événement propose des pistes de réflexion, mais ce sont les participant·e·s qui orientent les idées et les actions. L’objectif est de faire naître de nouvelles idées, des propositions concrètes pour agir dans nos localités. Le facteur « fun » est important dans ce changement. Prendre le temps, discuter, découvrir, apprendre. Le festival est un agent de contamination positive, que nous considérons comme un des (joyeux) rouages de cette nécessaire transition.
ÀB ! : À quoi ressemble la programmation ?
M. C. : Pendant quatre jours, nous proposons des conférences, des ateliers de formation et de réflexions, des expériences immersives, des agoras, des dialogues ouverts, des échanges autour du bar ou du feu pour explorer différentes manières d’ouvrir la discussion sur divers sujets – politique, économie, environnement, mobilisations, féminismes, racisme, enjeux autochtones, entre autres. Un « fab lab » offre des expériences concrètes en lien avec la transition (jardinage sur petites surfaces, réparation de vélo, sérigraphie, construction de murs en ballots de paille). Le contexte est familial, des activités étant prévues pour les enfants (chasse au trésor sur la biodiversité, contes philosophiques, etc.) et un camping est destiné spécialement aux familles. Le tout dans un enrobage bonbon : plein air, musique, cirque, spectacles de feu, slam et poésie, théâtre, animation rocambolesque. Un mélange unique qui génère des combinaisons improbables et l’éclosion d’idées nouvelles.
ÀB ! : Comment se finance le festival ?
M. C. : Notamment par la vente de bières spécialement fabriquées pour nous par des ami·e·s de L’Anse-Saint-Jean. Bien sûr, le festival compte essentiellement sur l’achat de billets sur le site pour faire rouler ses opérations. Depuis l’année dernière, nous recevons un support financier de la MRC du Fjord. Mais rien ne serait possible sans la contribution gratuite de dizaines de bénévoles motivés, de la générosité de celles et ceux qui transmettent leurs connaissances et leur expérience sans demander de rétribution et de tous ces artistes engagés qui « performent » souvent à prix d’ami. Éventuellement, nous aimerions développer le volet financement afin d’améliorer l’accès à toutes et tous et pouvoir payer les artistes et conférenciers-conférencières à leur juste valeur.
ÀB ! : Comptez-vous faire d’autres éditions ?
M. C. : Oui. La transition commence tout juste à gagner du terrain dans le discours social et la science nous dit qu’il faut absolument changer nos paradigmes. Plus que jamais, l’individualisme perd du terrain et les gens souhaitent poser des gestes concrets pour changer des choses. D’ailleurs, cette année, la Folle machine à solutions sera axée sur la mobilisation.
ÀB ! : Le Festival s’inscrit-il dans une tendance politique particulière ?
M. C. : Le festival est résolument politique et nous sommes ouvertement progressistes. Nous abordons la politique au sens large et plutôt sous un angle sociologique ; nos efforts sont mis avant tout dans la construction d’une transition socio-écologique. Cependant, nous évitons soigneusement toute étiquette partisane et nous ne sommes affiliés à aucun parti politique. Nous tenons à conserver un esprit non partisan. Cela ne nous empêche pas de donner la parole à des représentant·e·s politiques. Cette année par exemple, nous allons aborder le thème de la constituante. Il nous semble pertinent d’inviter des personnes qui représentent une bannière, car certains partis discutent ouvertement de cette avenue.