Ensemble pour l’avenir durable du Grand Gaspé

No 070 - été 2017

Environnement

Ensemble pour l’avenir durable du Grand Gaspé

La lutte de longue haleine d’un comité citoyen

Noémie Bernier

Pétrolia est connue pour son projet d’exploitation à Anticosti, mais il ne faudrait pas oublier ses forages en Gaspésie. Prisée pour l’extraction de ses ressources, la région n’en reste pas moins farouche. Regard sur une lutte citoyenne pour le respect du territoire.

En 2005, Pétrolia forait le puits Haldimand no1, situé à 2km du port de Gaspé, puis Haldimand no2, en 2009, à une distance de 1km du premier puits. Durant la phase d’exploration, la compagnie produisait 34 barils de pétrole par jour. À l’époque, les allées et venues de la pétrolière n’avaient suscité aucune réaction de la population ni de la Ville. Acceptabilité sociale ou manque d’informations ?

Les inquiétudes ont commencé à faire surface en 2011. En avril, le conseil municipal adoptait un règlement de contrôle pour suspendre les travaux d’exploration jusqu’à ce que la municipalité se dote de règles précises, conscient qu’il n’a pas de pouvoir décisionnel sur ces questions. Le mois suivant, Pétrolia envisageait la fracturation hydraulique pour Haldimand no2, en entretenant un flou concernant les autres puits. L’histoire se répétera en septembre de la même année avec Haldimand no3, et la controverse ne fera que s’amplifier l’année suivante, en 2012.

Pétrolia projetait en effet, à la fin 2012, de forer le puits no4, qui se situe à 350m du quartier résidentiel de la rue Forest. Un puits horizontal, d’une longueur totale de 2650m, qui rejoindrait les puits no1 et no2. Projetait, rappelons-le, puisque la Ville de Gaspé adoptait, en décembre 2012, le fameux règlement sur la protection de l’eau : ce dernier empêchait tout forage à moins de 2km d’une source d’eau potable, incluant les puits artésiens. Gaspé n’était pas la seule à agir sur cette question, plusieurs municipalités de la région, de la province même, adoptèrent des règlements similaires pour protéger leur territoire d’éventuels forages (près de 70 municipalités au total).

Cette décision a toutefois entraîné Gaspé dans une péripétie judiciaire pendant plusieurs mois : en 2014, la Cour supérieure du Québec a jugé que le règlement était inopérant puisqu’il allait à l’encontre de la Loi sur les mines, laquelle encadrait à l’époque l’exploitation gazière et pétrolière. En juillet 2014, le gouvernement du Québec a adopté un règlement diminuant la distance de forage permise à 500m d’une source d’eau : le feu vert était ainsi accordé à Pétrolia.

Les opérations d’exploration pour Haldimand no4 se sont finalement terminées en septembre 2016. Contre toutes attentes, alors que la pétrolière avait spécifié devant la cour qu’il n’était pas question de fracturation hydraulique en raison de la géologie des lieux et parce que son permis ne l’y autorisait pas, elle a finalement annoncé que ce procédé ainsi que la stimulation chimique seraient nécessaires pour ce puits. Encore une fois, on assista à une levée de boucliers du côté de la population de Gaspé.

L’opposition s’organise

Derrière les décisions municipales de s’opposer au projet de Pétrolia se trouve un comité citoyen, Ensemble pour l’avenir durable du Grand Gaspé, mis sur pied en 2011. « En fait, c’est un citoyen de Sandy Beach qui voyait apparaître les affiches “Haldimand 1, 2, 3” et qui a mobilisé ses ami·e·s pour former un organisme sans but lucratif », explique Lise Chartrand, présidente et porte-parole du comité depuis 2012.

Ensemble pour l’avenir durable du Grand Gaspé est soutenu par un grand nombre de citoyen·ne·s : les marches dans les rues de la ville, les manifestations lors de rencontres d’affaires de l’entreprise pétrolière et les rassemblements à certaines séances du conseil municipal en sont des preuves. Rappelons notamment la mobilisation pour le Jour de la Terre en 2012, qui portait comme message une forte opposition à l’exploitation des hydrocarbures et qui a rassemblé 250 personnes de tous âges.

Le comité travaille à informer la population de Gaspé sur les enjeux entourant la fracturation hydraulique et la stimulation chimique, mais aussi sur les lois entourant cette exploitation. « On distribuait des dépliants, raconte Mme Chartrand. On a demandé à la Ville d’en produire un après l’étude environnementale stratégique sur le développement des hydrocarbures, qui a eu lieu à Gaspé en 2013. Ils n’ont jamais voulu. Nous avons donc distribué le nôtre. On a aussi fait venir des scientifiques à différentes reprises, notamment la firme Savaria en 2014, qui exposait les risques pour la population du quartier Sandy Beach-Haldimand. Richard Langelier, docteur en droit, juriste et sociologue, est aussi venu en juillet 2016 pour expliquer les conséquences négatives que pouvait avoir l’adoption de la loi 106 en vulgarisant son contenu. »

Le comité est en lien avec plusieurs organisations écologiques au niveau provincial, notamment le Regroupement vigilance hydrocarbures du Québec (RVHQ), Eau Secours, Greenpeace, l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique et Non au pétrole et au gaz au Québec. Ces liens sont très importants pour la visibilité de la lutte à Gaspé : bien que la présidente du comité soit invitée à s’exprimer dans plusieurs médias régionaux (Radio-Gaspésie, Pharillon, Radio-Canada Est-du-Québec, CHAU, CHNC et Télé-Gaspé), le rapport à des groupes extérieurs donne plus de visibilité à la cause et permet aussi de rappeler que la lutte est toujours en cours. Ce sont donc des partenariats précieux pour le comité, notamment pour l’année 2017 : « L’organisme Eau Secours a décidé que nous allions être un de leur dossier principal cette année, ce qui veut dire qu’ils vont nous soutenir pour cette cause », explique Mme Chartrand.

À la défense du citoyen... malgré les embûches

Ensemble pour l’avenir durable du Grand Gaspé mise d’abord et avant tout sur l’appui aux citoyen·ne·s qui éprouvent des inquiétudes concernant le forage Haldimand. Cette préoccupation passe notamment par la question de l’eau : « Il en coûte 2500$ pour faire faire un test d’eau, les gens n’ont pas l’argent pour faire cela… Nous non plus : un petit organisme à Gaspé ne peut amasser beaucoup de fonds. On a réussi à aller chercher au moins un 2500$ pour faire analyser un puits, mais qu’il n’y ait pas de contaminants dans celui-ci ne signifie pas qu’il n’y en a pas dans d’autres puits. »

Cette défense citoyenne est maintenant plus difficile que jamais avec la loi 106, adoptée sous le bâillon en décembre 2016. Cette loi transforme en licences, dès son entrée en vigueur, les permis accordés avant son adoption. « Toute la péninsule gaspésienne est “claimée”, c’est-à-dire qu’il y a des droits de prospection qui ont été accordés, poursuit la présidente du comité. Dès lors, ils peuvent décider de commencer leurs travaux d’exploration. Ils peuvent tirer du pétrole du sous-sol et, dans la phase d’exploration, ils ne sont pas tenus d’accorder de redevance au milieu. Et les citoyen·ne·s sont obligés de les laisser passer sur leurs terres, ils ne peuvent pas leur refuser l’accès. S’ils tentent de le faire, ils sont expropriés. Si vous saviez l’atmosphère de découragement, de colère, d’impuissance, et si vous saviez les projets dans le quartier de Sandy Beach-Haldimand qui ont été abandonnés… » Précisons que la loi 106 contient aussi des dispositions permettant le forage par fracturation hydraulique et fait perdre aux municipalités le pouvoir de gérer l’eau sur leur territoire. Rien pour rassurer les militant·e·s d’Ensemble pour l’avenir durable du Grand Gaspé.

C’est donc une lutte de longue haleine qui est très prenante pour les quelques personnes impliquées dans le comité : « Depuis 2011, on a investi beaucoup de temps dans ce dossier. On se contacte pendant les vacances, on a des réunions, les nôtres, mais aussi celles du RVHQ, d’Eau Secours, et on a les dossiers citoyens dont il faut s’occuper… On vit avec tout cela. C’est difficile, on vit beaucoup de stress aussi », confie Lise Chartrand. Par ailleurs, le comité a fait face à la difficulté d’être reconnu, ou plutôt d’être pris au sérieux, par les autorités, comme c’est le cas de plusieurs groupes luttant contre l’exploitation des hydrocarbures (dont les comités citoyens à l’origine de Coule pas chez nous, dans le Bas-Saint-Laurent) [1]. « Nous ne sommes pas des spécialistes. Cela nous est reproché. Ce qui fait que nous avons vécu de la peur d’aller dans les médias parce qu’il faut être sûrs de ce que nous disons, et il faut avoir des experts à qui référer les journalistes. Si tu fais la moindre erreur, l’industrie risque de te poursuivre. »

En 2017, que reste-t-il de la lutte ?

Malgré les lois et règlements du gouvernement libéral donnant plus de droits aux compagnies pétrolières qu’aux citoyen·ne·s habitant les territoires convoités pour l’or noir, Ensemble pour l’avenir durable du Grand Gaspé reste aux aguets. Le comité songe à la désobéissance civile pour ses prochaines actions et a d’ailleurs distribué un sondage à ses membres pour évaluer leur intérêt à participer à ce type de démarche. « Mobiliser les gens est devenu difficile, notamment parce que tout le monde connait tout le monde. Plusieurs personnes sont révoltées, mais vu que Gaspé est un petit milieu… Qu’est-ce qu’il reste ? La désobéissance civile, cela a ses limites quand nous ne sommes qu’une dizaine. Ce n’est pas cela qui va changer la loi. »

D’un autre côté, le comité a bénéficié de sorties médiatiques importantes dans les derniers mois : la directrice d’Eau Secours, Alice-Anne Simard, lors d’un rassemblement de représentant·e·s de groupes écologistes et de député·e·s solidaire et péquiste le 22mars dernier, a cité le cas de Gaspé pour appuyer son propos sur « l’à-plat-ventrisme » du gouvernement libéral face à l’industrie pétrolière. Récemment, les députés péquistes de la région ont apporté des contenants d’eau polluée au ministre de l’Environnement David Heurtel et au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles Pierre Arcand, à la demande du comité.

Ces petites actions entretiennent l’espoir pour la lutte citoyenne, mais ne suffiront pas si le gouvernement reste inactif. Par ailleurs, Lise Chartrand salue les démarches des Micmacs de la Gaspésie : « Ils ont fait un excellent travail l’an passé. Ils ont fait valoir leur droit d’être consultés dans ce dossier, puisque jusqu’ici ils ne l’ont pas été. La cheffe au niveau local, Mme Manon Jeannotte, a invité les ministres à venir boire un verre d’eau, cela a été très fort comme symbole. Si les forces citoyennes québécoises ne suffisent pas, je pense que les Autochtones pourront renforcer l’opposition à ces projets. »


[1Lire à ce sujet Pierre Batellier et Lucie Sauvé, « La mobilisation des citoyens autour du gaz de schiste au Québec : les leçons à tirer », Gestion, vol. 36, no 2, 2011.

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