Dossier : Quand l’art se mêle de politique
Art militant autochtone. Sindy Ruperthouse et nos soeurs en esprit
En 2014, la GRC alléguait qu’il y avait 1 200 femmes autochtones assassinées ou disparues depuis les années 1980. Si on ajustait ce nombre à la population en général, ce serait 32 000 femmes qui seraient dans la même situation, soit autant qu’en temps de guerre. J’ai voulu présenter le cas particulier de Sindy Ruperthouse, une Anishnabeh de la communauté de Pikogan, pour dénoncer le sort réservé aux femmes autochtones par la société dominante.
Le refus des forces policières d’admettre qu’il y a deux poids deux mesures dans la résolution de ces cas n’aide pas à trouver des solutions à cette injustice. N’entendrait-on pas une clameur parcourir le pays pour que la recherche de ces femmes devienne une priorité pour les forces de l’ordre ? Alors que la disparition d’une Autochtone n’est parfois même pas soulignée par les médias.
Par ailleurs, les recherches faites par les groupes de femmes avancent le chiffre de 4 000 cas. En ce qui concerne Sindy Ruperthouse, sa disparition fut à l’origine des dénonciations par les femmes autochtones de Val-d’Or sur le comportement des policiers à leur endroit. D’où la mise en place de la Commission Viens sur les rapports entre les services publics et les Autochtones, dont les audiences se terminaient le 14 novembre 2018.
Poésie en marche
Mon projet intitulé Poésie en marche pour Sindy surgit d’une réflexion souhaitant aborder les blessures du territoire et de ses habitants. Il s’agit d’une rencontre entre des artistes autochtones et allochtones. Le Centre d’exposition de Val-d’Or en collaboration avec le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or a élaboré ce projet sous le titre Aki Odehi, qui signifie cœur de la Terre-Mère. Les maîtres d’œuvre étaient Carmelle Adam, directrice du Centre d’exposition et Sonia Robertson, commissaire innue.
Les cinq artistes choisi·e·s devaient faire un travail incluant la collaboration des aîné·e·s autochtones. Différents angles ont été choisis par les artistes liant le territoire et leurs habitants : celui de la violence faite aux femmes par Véronique Doucet, les inondations ou la déforestation du territoire par Kevin Papatie, le drame des pensionnats par Karl Chevrier, le déménagement forcé vers les réserves par Jacques Baril. Par un concours de circonstances, les travaux de la commission Viens débutaient en même temps que mon projet en juin 2017, qui consistait à faire des jardins de fleurs avec le prénom de Sindy dans des lieux qui avaient été signifiants pour elle. La préparation du travail a impliqué la collaboration de sa famille, qui devait accepter que je prenne Sindy comme sujet de démarche artistique. En plus des jardins fleuris, j’écrivais de la poésie destinée à être lue pendant l’action urbaine.
De l’art à la rue
Lors d’une journée de juin 2017, au moment de la première marche où nous devions semer les graines de fleurs dans les différents sites prévus à travers la ville, nous avons appris que les policiers de Val-d’Or témoignaient devant la commission Viens. Leur témoignage fut reporté et quelques agent·e·s de l’ordre ont participé à l’action urbaine en marchant à travers les Anishnabes, les Cri·e·s et les Québécois·es qui suivaient le parcours tracé allant d’un jardin à l’autre.
Lors de la seconde marche le mois suivant, soit le 18 juillet, la foule s’était agrandie par la présence de notables de la ville et de représentant·e·s des député·e·s régionaux et davantage d’agent·e·s de police. La commandante de la brigade spéciale créée pour mieux servir les intérêts des Amérindien·ne·s des alentours de Val-d’Or a donné des directives à ses agent·e·s afin que la marche se fasse sans accrocs. Nous avons donc reçu la collaboration de tous et toutes pour que cette poésie en marche se fasse dans les règles de l’art.
Parmi les derniers effets découlant de ce projet, le canal APTN a produit une émission sur la disparition de Sindy Ruperthouse. À l’arrière-plan, la commentatrice présentait le mur du Centre autochtone de Val-d’Or sur lequel j’avais écrit son nom en mousse. Puis, lors du lancement du recueil de poésie, en novembre 2018, le journal local a présenté cette nouvelle en page couverture. Ce que la poésie n’arrive jamais à faire, être à la une des nouvelles régionales, Sindy Ruperthouse l’a réussi.