La stratégie de l’émotion

No 078 - février / mars 2019

La stratégie de l’émotion

Isabelle Bouchard

Anne-Cécile Robert, La stratégie de l’émotion, Montréal, Lux, 2018, 170 pages.

Dans une œuvre qui nous replonge dans les thèses des humanistes du siècle des Lumières, Anne-Cécile Robert, journaliste au Monde diplomatique, nous oblige à nous reposer les questions de Kant, de Montaigne ou de Descartes. Quelle place accorder aux émotions dans nos actions et nos réflexions ? L’être humain a-t-il le devoir de se conduire selon les règles de la raison ?

Résolument du clan des rationalistes convaincus, la philosophe démontre par un procédé rigoureux, abondamment illustré par des situations contemporaines, que consciemment ou pas nous avons laissé les émotions contrôler trop d’aspects de notre vie moderne à un tel point que nous en sommes prisonnières et prisonniers. Si pour elle, il n’est pas question de condamner le recours à l’émotivité, il est essentiel d’en évaluer les conséquences. Au lieu d’analyser les phénomènes, de les critiquer, de les contester, d’y réfléchir ou même de confronter nos idées, nous sommes contrôlés par les émotions.

Les phénomènes ou les situations où la stratégie de l’émotion s’impose sont manifestes pour la journaliste, et ce, tant en France qu’au Canada. Sans en présenter une liste exhaustive, voici quelques situations qui, aux dires de l’autrice, relèvent de la stratégie de l’émotion, dépolitisent le phénomène et conséquemment empêchent l’analyse critique : les marches blanches (manifestations silencieuses qui soulignent le malheur d’une situation) ; le recours systématique à un traitement psychologique lors de situations critiques. L’auteure réfère aussi à l’utilisation du devoir de mémoire qui transforme les victimes en héros, à l’invasion des faits divers dans les médias, au populisme, aux larmes des politiciens (dont Justin Trudeau) et à l’étalage public de leur vie privée.

Si parfois on reste sur notre faim quant au traitement que réserve l’autrice à certains phénomènes, l’argumentaire général lui donne raison : le recours à l’émotion est stratégique et constitue un outil de contrôle social duquel il faut s’émanciper. L’argumentaire est plus faible notamment lorsqu’elle aborde le droit des animaux. Pour l’autrice, la stratégie de l’émotion aurait doublement gagné, en nous convainquant d’accorder des droits aux animaux sur la base qu’ils sont des animaux sensibles comme les animaux humains, mais surtout en qualifiant essentiellement les êtres humains d’animaux sensibles, les éloignant ainsi de leur capacité de réflexion. Si son argumentaire est séduisant, il faut tout de même admettre que celui des défenseurs des droits des animaux n’est pas limité à ce seul argument comme le prétend Anne-Cécile Robert.

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