Marie-Claire Daveluy (1880-1968). Une historienne féministe

No 078 - février / mars 2019

Figures marquantes

Marie-Claire Daveluy (1880-1968). Une historienne féministe

Louise Bienvenue

Le nom de Marie-Claire Daveluy est aujourd’hui presque effacé de la mémoire collective. Certain·e·s aîné·e·s se souviennent peut-être de Perrine et Charlot, les populaires personnages de ses livres pour enfants, mais ils ignorent probablement tout de son action féministe.

Au début du 20e siècle pourtant, cette jeune Montréalaise faisait partie des quelques courageuses à se mobiliser en faveur du droit de vote des femmes. Or, son engagement féministe est loin de se limiter à la question du suffrage ; il revêt une allure originale. Car c’est en prenant sa plume d’historienne que Marie-Claire Daveluy aura surtout contribué à la mise en valeur des femmes.

Qu’est-ce qui propulsa Daveluy sur les sentiers de l’engagement féministe et de la recherche historique ? Nous en savons peu de choses, à vrai dire. Celle qui vit le jour à Montréal, le 15 août 1880, demeura toujours très discrète sur sa vie privée. Son amour des livres semble s’être révélé très tôt, ce qui explique probablement ses « brillantes études » au couvent d’Hochelaga, une institution réputée de l’époque. Une passion pour le piano entraîne ensuite la jeune femme à l’Académie de musique de Québec, où elle envisage un temps la carrière de concertiste. Puis, on la retrouve comme secrétaire au bureau d’un oncle notaire. Le 1er mai 1917, elle entre à la Bibliothèque de la Ville de Montréal, où elle mènera une longue carrière de 27 années.

Loin de s’en tenir à l’atmosphère protégée des bibliothèques, Marie-Claire Daveluy se révèle une femme de cause. En 1916, en bonne nationaliste, elle se porte à la défense des droits scolaires de la minorité française en Ontario. Dans ses écrits sur le sujet, elle souligne à grands traits l’engagement des mères de famille dans l’épisode du Règlement 17, si emblématique de la résistance des Canadien·ne·s français·es hors Québec. Mais son engagement principal sera surtout la cause des femmes. Au début des années 1910, elle s’active au sein de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste et collabore de façon soutenue à sa revue, La Bonne Parole. Fondée en 1907 à Montréal, cette première organisation féministe canadienne-française faisait la promotion des droits sociaux et politiques des femmes. Sa présidente, Marie Gérin-Lajoie, accordait à Daveluy une grande crédibilité intellectuelle. Elle n’hésitait jamais à recourir à son savoir : « Vous êtes si renseignée sur la question féministe que je viens vous consulter à ce sujet », lui écrivait-elle en 1913 pour lui demander un rapport sur le suffrage féminin dans les pays catholiques.

Dans le Québec de cette époque, il ne faisait pas bon être suffragiste, on le sait. Une forte opposition grondait alors au sein de la classe politique et du clergé. « L’entrée des femmes dans la politique, même par le seul suffrage, serait pour notre province un malheur », déclarait en 1923 le cardinal Bégin. Si l’enjeu du vote des femmes confrontait Marie-Claire Daveluy dans ses convictions religieuses, cette dernière devait réaliser assez tôt la difficulté qui consistait aussi à concilier son féminisme et son nationalisme. Sa correspondance avec le leader nationaliste Henri Bourassa, antisuffragiste notoire, révèle à quel point son combat est déchirant. « Je diffère d’opinion avec vous pour la première fois de ma vie ! », écrit-elle en 1913 au directeur du Devoir dont elle a toujours admiré les positions. Le parti pris féministe de Daveluy la pénalisera d’ailleurs au moment de la parution de son premier livre, L’Orphelinat catholique de Montréal, en 1919. La jeune femme apprend que son opus ne pourra être recensé par la Revue dominicaine : « Chère Mademoiselle, lui écrit le rédacteur, tant que vous n’aurez pas abjuré cette doctrine dangereuse, insensée, antichrétienne du suffragisme […], je ne puis louer publiquement aucun de vos écrits […]. »

Sortir les femmes de leur invisibilité historique


C’est en grande partie sur le terrain de l’histoire que se déploie l’énergie féministe de Marie-Claire Daveluy. Le mérite lui revient d’ailleurs d’avoir été la première femme à entrer au sein de la vénérable Société historique de Montréal en 1917. Devenir membre de ce cénacle savant, à l’époque, n’était pas le moindre des accomplissements. Daveluy d’ailleurs en était fière et s’estimait privilégiée de se retrouver parmi des collègues érudits auprès de qui elle pourrait perfectionner son savoir. Employée à temps plein de la Bibliothèque de la Ville de Montréal, la Montréalaise devait s’adonner à sa passion pour l’histoire en autodidacte et en dehors des heures de travail. Son œuvre, pourtant, dépasse celle d’une simple amatrice et réussit à respecter les standards méthodologiques de son époque. On la considérait d’ailleurs, à juste titre, comme « un historien » érudit.

C’est surtout par la plume que Daveluy s’évertua à souligner le rôle historique des femmes. Mais à cette époque où s’érigent de grands monuments à la gloire des héros et que s’organisent de vastes commémorations publiques, l’historienne s’inquiète aussi de la visibilité des femmes dans le paysage urbain. En 1916, lorsqu’un projet de monument en l’honneur de Louis Hébert est dévoilé, Daveluy s’indigne de la place que le sculpteur Alfred Laliberté laisse à l’épouse du premier colon de la Nouvelle-France. Comment Marie Rollet, fondatrice de la Nation, peut-elle être ainsi placée au pied de son mari, demande-t-elle ? La critique de Daveluy ne suffit pas à infléchir le projet ; les passant·e·s qui traversent le parc Montmorency à Québec peuvent encore s’en désoler de nos jours. Qu’à cela ne tienne, la Montréalaise veillera elle-même à mettre en lumière les héroïnes canadiennes-françaises. Fervente admiratrice de Jeanne Mance, à qui elle reconnaît le titre de cofondatrice de Montréal – bien avant la reconnaissance officielle de 2012 – l’historienne s’investit corps et âme dans l’organisation d’une cérémonie annuelle à sa mémoire. En 1942, elle s’engage cette fois dans le comité des fêtes religieuses du tricentenaire de Montréal. Son ambition est toujours la même : éclairer le rôle des femmes dans l’histoire, les faire sortir de l’oubli...

L’œuvre écrite de Marie-Claire Daveluy s’étend sur une cinquantaine d’années et comporte des volets à la fois savants et populaires. Les héroïnes de la Nouvelle-France y ont surtout la vedette : Jeanne Mance, Marie Rollet, Madeleine de Chauvigny de la Peltrie, Marguerite Bourgeois, etc. Sa publication historique la plus importante est, sans aucun doute, la biographie de Jeanne Mance qui lui valut un prix David ainsi qu’un prix de l’Académie française en 1934. La critique, abondante, a reconnu dans cet opus un ouvrage substantiel et solidement documenté.

Érudite, passionnée d’archives, Marie-Claire Daveluy ne s’adressait pas qu’aux savant·e·s et se voyait aussi comme une éducatrice populaire. À ce titre, elle rédigea plusieurs articles portant sur des thèmes historiques dans des revues « à grand public » et des almanachs. On lui doit même une bande dessinée sur Marie Rollet, l’une de ses figures historiques préférées. En carrière, la disciple de Clio prononça aussi un nombre impressionnant de causeries et des conférences publiques. Dans les années 1940, Daveluy rédige pas moins d’une centaine de sketches sur l’histoire du Canada pour les ondes de Radio-Canada. Plusieurs de ses romans de jeunesse, campés dans un décor historique, font aussi œuvre éducative. Parmi eux, sa série en six volumes des Perrine et Charlot triomphe littéralement : le premier tome sera vendu à 33 000 exemplaires.

Reconnaissance et oubli


Marie-Claire Daveluy était assurément une personnalité reconnue de son temps. Ses prix littéraires en témoignent, ainsi que le doctorat honoris causa qu’elle reçoit de l’Université de Montréal en 1943 et la Médaille du centenaire de la Société historique de Montréal qu’elle obtient en 1958. Son legs à la société québécoise est aussi institutionnel : elle fut cofondatrice de l’actuelle École de bibliothéconomie et sciences de l’information de l’Université de Montréal.

Au vu de telles réalisations, pourquoi une mémoire si oublieuse ? Cela tient sans doute à son positionnement idéologique. Ardente nationaliste et fidèle catholique, Daveluy se rattache aisément à une école traditionaliste dont le crédo s’accorde mal aux sensibilités progressistes actuelles. Pour cette raison, elle est moins célébrée que d’autres figures féministes de son époque, comme Idola Saint-Jean (À bâbord !, no 72), Éva Circé-Côté et Léa Roback (À bâbord !, no 68), plus clairement campées à bâbord. Mais n’est-il pas temps d’élargir cette compréhension trop restrictive de l’histoire du féminisme et d’inclure Marie-Claire Daveluy au panthéon des pionnières de la cause des femmes au Québec ?

Thèmes de recherche Féminisme, Histoire
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