Éditorial du numéro 78
Toujours debouttes
Le collectif de la revue À Bâbord ! vous invite à un lancement festif de son numéro 78, contenant un dossier thématique intitulé : Quand l’art se mêle de politique. Sous la forme d’un cabaret politico-musical, le lancement se tiendra au Quai des brumes (4481 Rue Saint-Denis, Montréal), le 4 mars à partir de 17h30. Tous les détails ici.
Entrée libre. Bienvenue à toutes et à tous !
En ces temps difficiles où l’autoritarisme et la haine ont le vent en poupe, on peut au moins se réjouir de la combativité d’un mouvement progressiste : le féminisme. Il n’y a pas si longtemps encore, le mot était évité par bien des femmes qui, pourtant, se reconnaissaient dans les idéaux d’égalité du mouvement. Aujourd’hui, les inégalités entre genres sont affrontées avec aplomb et les luttes féministes mettent en lumière les multiples oppressions et les dynamiques de pouvoir cristallisées dans nos institutions.
L’année 2019 s’annonce toutefois exigeante. L’abandon de la quasi-totalité des poursuites contre Gilbert Rozon montre la nécessité criante d’adapter le système judiciaire à ce crime particulier qu’est l’agression sexuelle. On connaît le scénario : les survivantes re-victimisées, humiliées devant leur agresseur ; les difficultés de témoigner d’un crime vécu si intimement et la nécessaire adaptation des procédures juridiques en conséquence ; les délais avant de trouver le courage de dénoncer ; la destruction de ce courage par l’absence de condamnation, coup… après coup… après coup.
Certes, le droit criminel nécessite un degré de preuve élevé pour sanctionner hors de tout doute raisonnable. Pourtant, au vu de l’absence de condamnation pour la majorité des agressions sexuelles, ce crime semble demeurer quasi invisible pour la loi et la justice. Cela laisse entendre qu’il est moins criminel que les autres, alors qu’il détruit des vies, en majorité des vies de femmes. À cette échelle, l’absence d’un recours juridique adapté institutionnalise la discrimination à l’égard des femmes et envoie un message néfaste de banalisation. Un tribunal spécialisé en matière d’agression sexuelle règlerait-il la question ? Espérons-le, mais plus d’un an après le mouvement #MoiAussi, il est urgent de faire pression pour que ces crimes graves soient sanctionnés et que cesse l’impunité.
Ailleurs dans le monde, on voit que l’extrême droite, qui faisait son pain et son beurre de l’égalité hommes-femmes quand il s’agissait de stigmatiser les personnes de confession musulmane, affiche de plus en plus ses vraies couleurs. En Andalousie, le parti d’extrême droite Vox, en ascension, souhaite qu’on limite la lutte contre les violences faites aux femmes, sous prétexte que ces mesures constituent du « djihadisme de genre ». Au Brésil, le nouveau président Bolsonaro a par le passé affirmé à une députée : « J’ai dit que je ne vous violerais pas parce que vous ne le méritez pas. » Les forces conservatrices de plusieurs pays remettent de l’avant une conception archaïque du genre : la nouvelle ministre de la Femme (!) du Brésil a célébré une nouvelle ère dans laquelle « les garçons s’habillent en bleu et les filles en rose ». Les fragiles avancées des minorités sexuelles se voient aussi menacées, avec des discours politiques normalisant la discrimination à leur égard et déclenchant la haine de mouvements fascistes dans les rues.
Rien n’est donc acquis, mais les femmes semblent prêtes à aller au front. En Inde, elles commencent à entrer dans des temples hindous qui leur étaient interdits d’accès, soutenues par un récent jugement de la Cour suprême. Aux États-Unis, la Chambre des représentants comporte désormais le plus grand nombre de représentantes de son histoire, dont plusieurs socialistes, les deux premières femmes autochtones et les deux premières femmes musulmanes. L’une d’elles, l’Américano-Palestienne Rashida Tlaib, a d’ailleurs lancé un « Impeach the motherfucker » bien senti le jour même de son entrée au Congrès. Au quotidien, depuis la vague de dénonciations, les femmes se tiennent les coudes pour maintenir l’attention sur les inégalités de genre dans les médias, dans les familles, dans les organisations.
Au Québec, la possibilité d’une grève pour la rémunération des stages et l’opposition au projet du gouvernement Legault sur la laïcité qui sème la division risquent d’être les principales batailles féministes de ce début d’année. La première parce que les stages non rémunérés sont largement occupés par des femmes ; la seconde parce qu’il semble encore nécessaire de faire comprendre aux patriarches et opportunistes de toutes tendances que les femmes ont le droit de disposer de leur corps et de s’habiller comme elles l’entendent et que cela n’annihile pas leur capacité à réfléchir de manière sensée.
Diffuser l’analyse féministe et se solidariser avec les luttes du mouvement des femmes pour rendre nos résistances plus émancipatrices et plus pertinentes : voilà ce que nous ne manquerons pas de faire. Bon 8 mars !