Dossier : Quand l’art se mêle de politique
L’art de l’indiscipline
J’ai choisi de bousculer les spectateurs sans pour autant tomber dans la provocation. J’ai choisi d’être indisciplinée et féministe.
« Indisciplinée » pour jouer sur les mots bien sûr, mais aussi pour indiquer que ma démarche s’en prend au conformisme et à la rigidité, qu’elle s’applique à casser les codes jusqu’à faire bon ménage avec la peur, s’il le faut. Tandis que je poursuis simultanément de multiples projets, l’actrice, la metteure en scène et la cinéaste existent toujours en même temps ; car je veux tout étreindre… et parce que je me donne ce droit, sans attendre de permissions, sans me contenter du chemin déjà tracé. Suivre sa propre voie exige une combinaison aigre-douce d’insouciance et de colère. J’ai choisi de sortir des chemins balisés par le rationalisme et le productivisme.
Un parcours que l’on pourrait qualifier de singulier, polymorphe et non conventionnel, car les frontières poreuses entre chaque discipline que j’ai expérimentée définissent mon appétit. Je réalise que mon esprit imaginatif ne se réconcilie pas toujours avec le monde concret dans lequel je vis, un monde drogué par l’appât du gain et le pouvoir. J’utilise les nouvelles technologies, l’image et la mise en scène comme un langage poétique, onirique et abstrait, proche d’un monde irrationnel dans lequel mon imaginaire se retrouve, en dialogue avec un scénario délivré par des acteurs ou une performance musicale sous une forme tangible sur scène. L’art et l’imaginaire sont pour moi les véhicules pour exprimer la déferlante envie d’indépendance, de liberté et de valeurs humanistes auxquelles j’aspire.
À ce titre, le féminisme est indissociable de mon engagement artistique et citoyen.
Quant aux frontières entre le privé et le social, elles ne peuvent que s’effacer. L’amitié, l’amour familial, mes collaborations avec des amis artistes, tout est susceptible de s’inscrire dans ma démarche artistique, d’être vécu éventuellement dans le prisme transformateur de l’art. De plus, le corps dans mon travail doit être exposé, généreux, chercheur, combattif et aussi actif que la pensée. Sans pudeurs ni inhibitions. Ce qui serait, à certains égards, provocant, l’abandon sans artifices du jeu, le rendent tout simplement humain, en font un geste complice. Une théâtralité-limite, qui désacralise l’intimité ou la sexualité, qui nous renvoie à nous-mêmes. À nos interdits. En nous éloignant des stéréotypes qui nous emprisonnent comme femme et comme artiste.
Dès ma sortie du Conservatoire, j’ai condamné la sous-représentativité des femmes sur scène, au cinéma et à la mise en scène. J’ai critiqué, en ripostant par mes créations, les stéréotypes qui nous confinent à une position subalterne, de faire-valoir, de soumises. Je me suis attaquée aux clichés qui enferment les femmes dans des rôles traditionnels, aux stéréotypes qui nous limitent et nous cantonnent dans l’intime, comme si nous étions incapables de raconter autre chose. C’est pourquoi ma première création au sein de ma compagnie en 1998, écrite par Marie Michaud et moi-même, comportait une distribution entièrement féminine.
J’ai ensuite gardé cette ligne éditoriale pour le reste de mes créations. J’ai priorisé des femmes pour l’embauche des concepteurs décor, costume, vidéo et éclairage. De 1991 à aujourd’hui, les femmes sont au centre de mes créations. Je me réjouis de voir que l’on manifeste pour la parité et l’équité salariale. Les femmes apportent d’autres visions du monde et il faut y avoir accès. Imposer sa volonté propre en dépit des oppositions est mon moteur. Les œuvres subversives et novatrices sont ma nourriture intellectuelle, affective et psychique, des œuvres qui n’acceptent ni tabous, ni destinées prévisibles.
Je défends et je crois qu’on peut être exigeant sans être hermétique. Être exigeant est synonyme de la confiance qu’on porte à l’intelligence du spectateur en élevant la forme et le propos au-dessus d’une lecture facile et banale. S’insurger et être téméraire dans le sens d’audacieux est la devise que m’a transmise mon amie Hélène Pedneault, et quand l’irrévérence me manque, je pense à elle. Nous ne voulons pas être figurantes de service. Je nous souhaite de connaître un jour la dignité d’êtres tous égaux.