Danny Plourde
Le combat fêlé du poète
Dossier : Littérature, fuite et résistance
Entre l’inquiétude et l’indifférence
le poème est une fêlure une bête qui boite
(Danny Plourde, Cellule esperanza)
La poésie de Danny Plourde témoigne de manière vive et personnelle des paradoxes dans lesquels se trouvent la poésie, son « rôle » dans la société et l’engagement qu’on peut y inscrire et y véhiculer. Il a publié trois titres à l’Hexagone : Vers quelque (sommes nombreux à être seul) en 2004, Calme aurore (s’unir ailleurs, du napalm plein l’œil) en 2007 et Cellule esperanza (n’existe pas sans nous) en 2009. Le premier s’est mérité le prix Félix-Leclerc et le deuxième a remporté le prix Émile-Nelligan. Danny Plourde a tout récemment fait paraître un roman chez VLB éditeur, intitulé Joseph Morneau, et il travaille présentement à un second roman.
Engagée, son écriture poétique instaure une tension sur le plan de l’expression. Le sujet du poème – « intègre et lucide face au peu de singularité qu’il reste en moi », comme il l’écrit dans le liminaire de Vers quelque – témoigne de son rapport au monde mais en effaçant la présence de la première personne du singulier. Comme le remarquait Jacques Paquin, « les textes ont beau évacuer le je, la subjectivité est bel et bien souveraine à chacune des pages [1]. » Nécessairement subjective, la poésie rend compte d’une expérience singulière. Prenant ses distances par rapport à des formes poétiques qui privilégient l’intimité ou l’expérimentation, le poète se revendique d’une écriture engagée et « populaire », qui se veut accessible, mais qui est consciente des contradictions inhérentes à une telle posture.
La poésie de Plourde renoue ainsi avec une volonté littéraire que l’on associe généralement à la poésie nationaliste, aux Cantouques de Godin ou au célèbre et magnifique « Speak white » de Michèle Lalonde. Mais il ne faut pas oublier que la question complexe de l’engagement, où s’articule un rapport conflictuel entre la dissidence et la volonté de rejoindre le plus grand nombre, ne cesse de se poser dans l’histoire de la poésie québécoise, depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui. Il est profondément réducteur de restreindre cet engagement aux poètes dits « du pays » ou de faire de Danny Plourde une pâle copie de Gaston Miron (même s’il est lui aussi un poète-joueur d’harmonica qui ne dédaigne pas de s’adresser à la foule et qu’il en évoque par ailleurs le fantôme à la toute fin de Vers quelque). L’œuvre de Paul Chamberland de même que celles d’Yves Boisvert et Hélène Monette incarnent admirablement l’incessant renouvellement de l’expression engagée. Ce combat a toujours eu lieu et se poursuit, trouvant à chaque époque et à chaque recueil de poèmes des moyens actuels de « dire aux humains leurs torts et leurs travers » et de « dire en vers durs de dures vérités », comme l’écrivait Michel Bibaud dans sa « Satire contre l’avarice », en 1832.
Les liminaires placés au début de chacun des livres de Danny Plourde forment autant de manifestes qui se débattent avec la position forcément paradoxale de la poésie. Maladroite, insuffisante, à la fois inutile et nécessaire, porteuse d’espoir et désabusée, elle pose un regard urgent sur la réalité contemporaine. Le poète affirme en ouverture de Vers quelque son désir de faire une poésie compréhensible : « J’ai choisi d’écrire pour ma mère qui n’a qu’un secondaire I […], pour tous ceux qui ne savent pas bien lire mais qui ont tout de même l’œil ouvert et le tympan sensible. » Aux yeux de certains, cette volonté participe d’une « profession de foi populiste […], d’un prêchi-prêcha politico-quelque chose », ainsi que l’écrivait Gabriel Landry [2]. Par ailleurs, cette posture se contredirait en quelque sorte elle-même, puisque l’absence de « je » complique la lecture.
Mais ce serait mal comprendre le projet de ce poète né en 1981. Le propos de Plourde vise à lancer un message qu’on pourrait résumer ainsi : « Hé, vous qui faites de la poésie, pensez donc un peu plus aux autres quand vous écrivez ! » Ce désir d’accessibilité est par ailleurs constitutif de l’écriture poétique, voire même de la littérature québécoise qui, depuis Le chercheur de trésors de Gaspé fils, a très souvent formulé et mis en pratique le souhait de se situer au plus près du réel [3]. Vouloir écrire pour le plus grand nombre constitue un engagement. Or, le poème s’adresse toujours au plus grand nombre. À qui d’autre pourrait-il s’adresser ?
Les poèmes de Danny Plourde disent avec acuité la nécessité de trouver nos propres façons de nous adresser à la fois à nous-mêmes et au plus grand nombre, tout en sachant que nous ne rejoindrons que quelques personnes. Comme le disait Raoul Duguay : « Je me parle à Toulmonde. » L’engagement du poète lui demande de trouver sa propre façon de se parler à tous. La poésie de Plourde s’« ouvre sur un monde fermé sur lui-même », comme il l’écrit dans son premier recueil. Elle mène ce combat en se tournant à la fois vers l’ici et l’ailleurs (de « notre pays pas d’pays » à la Corée du Sud qui se profile dans Calme aurore), vers l’intimité et l’humanité à qui elle s’adresse, vers les rencontres et les fêlures qui accompagnent et composent son engagement.
[1] Jacques Paquin, « Immersion difficile », Lettres québécoises, no. 128, hiver 2007, p. 39.
[2] Gabriel Landry, « Solitaires dans la foule », Voix et images, vol. 29, no. 3 (87), printemps 2004, p. 169.
[3] Dans la préface de son roman, Philippe-Aubert de Gaspé fils écrit qu’il souhaite rompre avec les « belles phrases fleuries » pour plutôt « peindre des hommes tels qu’ils se rencontrent dans la vie usuelle ». On retrouve une volonté similaire dans de nombreuses œuvres littéraires québécoises, dont, pour ne donner qu’un exemple, Salut Galarneau ! de Jacques Godbout.