L’assurance-chômage au Canada

No 041 - oct. / nov. 2011

Travail

L’assurance-chômage au Canada

De pire en pire !

Hans Marotte

Depuis 1990, le régime d’assurance-chômage a subi des transformations radica­les qui ont eu des conséquences significatives sur la vie de milliers de Cana­diennes et Canadiens (multiplication par deux ou par trois des normes d’admissibilité, réduction de la durée des prestations, baisse du taux de prestations de 60 % à 55 %, abolition complète du droit aux prestations dans les cas d’inconduite ou de départ volontaire sans justification, durcissement significatif des mesures punitives, etc.).

Pour comprendre où en est rendu le régime d’assurance-chômage canadien aujour­d’hui, dans lequel moins d’un chômeur sur deux est en mesure de recevoir des prestations, nous proposons un petit retour en arrière qui met l’accent sur les nombreux mensonges que nous ont lancés nos gouvernants au cours des 20 dernières années pour tenter de nous vendre leur salade indigeste.

1990 : l’État canadien ne reconnaît plus sa responsabilité en matière de chômage

Moins de deux ans après l’adoption de l’accord de libre-échange avec les États-Unis, le gouvernement fédéral se retire complètement du financement de la caisse d’assurance-chômage. À cet égard, il est bon de rappeler les arguments utilisés à l’époque par la ministre Barbara McDougall pour tenter de justifier ce retrait décrit comme «  […] une mesure nécessaire à la lumière de la situation financière actuelle et qui tient compte du fait que l’État n’a pas les moyens de contribuer au financement du régime tant qu’il enregistre un déficit important et persistant. » [1]


Rappelons que le compte de l’assurance-chômage était excédentaire de 356 millions de dollars en 1988, de 1,1 milliard en 1989 et de 2,1 milliards en 1990 ! [2], bien loin du déficit évoqué par la ministre.

Ce choix politique, qui faisait en sorte d’harmoniser notre système avec celui de nos voisins du sud, s’appuyait plutôt sur la philosophie voulant que l’État se déresponsabilise du problème du chômage en laissant aux seuls travailleurs et employeurs le fardeau de financer la caisse d’assurance-chômage (voir l’encadré). Évidemment, ce choix entraînait comme conséquence directe une augmentation significative des taux de cotisations pour les travailleurs. Il fallait compenser le manque à gagner puisque la contribution de l’État dans les huit dernières années où celui-ci a cotisé au régime (1983 à 1990) était de 2,4 à 2,9 milliards de dollars par année [3]. Les travailleurs devaient cotiser davantage pour obtenir beaucoup moins en cas de chômage !

Le temps des récoltes

Dans un deuxième temps, après avoir sensiblement augmenté les taux de cotisation des employeurs et des travailleurs, après avoir réduit de façon significative l’accessibilité au régime, le gouvernement fédéral pouvait, dès 1995, commencer à récolter le fruit de son « dur » labeur. C’est en effet à compter de cette date que le compte d’assurance-chômage a recommencé à être excédentaire pour atteindre le sommet astronomique de 57 milliards de dollars accumulés à la fin de l’exercice financier 2007-2008.

Surplus virtuel s’il en est un, puisque cette somme titanesque, détournée illégitimement des fins pour lesquelles elle avait été prélevée, ne se retrouve plus dans aucun coffre du gouvernement. Pourtant, on a tenté pendant plusieurs années à Ottawa de nous faire croire qu’il était hors de question de piger dans cette caisse.
En effet, lors de l’application de la réforme du régime de 1996, les ministres Axworthy et Young ont prétendu que les surplus de la caisse devaient bénéficier aux travailleurs qui y ont cotisé. Doug Young a même déjà dit que «  son gouvernement n’a ni de près ni de loin la main dans la “boîte à biscuits” […] que ni le gouvernement ni quelque société que ce soit ne prenne quoi que ce soit des surplus de la caisse de l’assurance-chômage [4]. »

Par la suite, divers représentants du gouvernement Chrétien ont finalement avoué que ce qu’ils avaient dit relativement à l’utilisation de ces surplus n’était pas vrai [5], le premier ministre affirmant même qu’«  il n’y a pas de surplus. Il n’y a pas de caisse de côté où il y a de l’argent dedans. C’est une question de comptabilité [6]. »

Après le déficit, la dette

Depuis 1995, le gouvernement du Canada a volé aux travailleurs et travailleuses du Canada plus de 57 milliards de dollars. Cela sans compter les milliards de dollars détournés de la caisse à des fins de formation et de subvention. Le but de la Loi sur l’assurance-emploi (assurance-chômage avant 1997) a toujours été de compenser les travailleurs lors d’une perte d’emploi. Il est inacceptable que l’État ait utilisé cet argent pour d’autres fins.

L’argent de la caisse a donc grassement servi à combler le déficit du Canada ainsi qu’à payer une part significative de la dette du pays. Ce détournement a malheureusement été « légalisé » par la Cour suprême du Canada en décembre 2008 [7].

Aujourd’hui et demain…

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur de Stephen Harper, le mot d’ordre récité comme un mantra est condensé dans la formule  : projet pilote ! Après avoir obtenu l’impri­matur de la Cour suprême concernant l’utilisation des surplus de la caisse, le gouvernement se contente de mettre en place des projets pilotes qui répondent aux impératifs du marché et de la conjoncture. On constate ainsi que le gouvernement vote des modifications temporaires qui ciblent une infime partie des travailleurs et qui s’inscrivent dans une logique de clientélisme politique à courte vue.

À la lumière de la dernière campagne électorale, dans laquelle la question du régime d’assurance-chômage n’a pas véritablement été à l’avant-plan, et de l’arrivée d’un gouvernement conservateur majoritaire, il faut reconnaître que les perspectives d’avenir ne sont pas roses. La clé d’un rétablissement d’un régime d’assurance-chômage digne de ce nom réside probablement dans un retour aux luttes qui ont mené à la création du régime lors de la grande crise des années 1930  :

« L’affrontement entre l’État et les sans-emploi allait culminer en 1935 avec l’organisation de la grande Marche des chômeurs sur Ottawa, marche dont la principale revendication était l’établissement de conditions de vie dignes pour les sans-emploi, entre autres via l’instauration d’un programme d’assurance-chômage. Cette Marche fut réprimée par le fédéral à Régina mais son impact politique allait ébranler le pouvoir, car le gouvernement Bennett tomba et, en 1940, une première loi sur l’assurance-chômage était promulguée. Malgré une répression féroce, la lutte avait payé [8]. »

Comme le signale cet article  « […] bien des points communs nous rattachent à cet épisode historique  : chômage important et de longue durée, indifférence ou négligence des États dans le domaine social, prolifération de soupes populaires et d’organismes de charité pour pallier aux carences gouvernementales, etc. »

Nous pourrions aujourd’hui ajouter à cette énumération l’avènement de la crise de 2008 qui a encore fait sentir ses effets pas plus tard qu’au mois d’août dernier. Il ne faut donc pas craindre de puiser dans les enseignements des luttes du passé pour articuler notre pensée et nos stratégies.


Une histoire de cas parmi d’autres : La responsabilité absolue du chômeur

Monsieur St-Pierre demeure au Nouveau-Brunswick avec sa femme et leurs deux jeunes enfants. Il travaille dans le domaine de la construction. Le travail est plutôt rare dans sa région. Après plusieurs recherches d’emploi infructueuses, il réussit à trouver du travail dans son domaine. Il obtient donc un contrat d’un mois dans la région de Boston pendant le mois de juin 2001. Immédiatement après, il se fait offrir un contrat de cinq mois, mais cette fois-ci dans la province de l’Alberta. Voulant travailler et faire vivre sa famille, il décide d’accepter cette offre.

Après un mois de travail à Boston loin de sa famille, il part donc pour l’Alberta pour honorer son contrat. Voici un extrait de sa déclaration à l’agent de chômage qui explique sa situation : « Avant de me rendre en Alberta, j’ai dû passer plusieurs semaines à Boston pour mon travail. Compte tenu de la nature de mon travail dans le domaine de la construction et du manque d’emploi dans ma région de résidence, je dois souvent m’absenter pour de longues périodes. C’est très difficile pour ma famille. La raison pour laquelle j’ai dû quitter mon emploi en Alberta était pour des raisons familiales. Mon épouse était en dépression et elle ainsi que mes deux enfants avaient besoin de moi à la maison. Mon épouse m’avait même dit qu’elle demanderait le divorce si je ne revenais pas.  »

Voici comment la Commission de l’assurance-emploi (le chômage) justifie son refus de lui accorder des prestations d’assurance-emploi : « Le prestataire n’a pas démontré que son départ était la seule solution raisonnable. À l’étude de toute la preuve, une solution raisonnable au départ aurait été de conserver son emploi jusqu’à la fin puisqu’il devait se terminer vers la fin octobre. » Cet exemple n’est malheureusement pas un cas isolé. Il représente la tendance lourde en ce qui concerne le traitement des questions de départ volontaire. Depuis 1993, pour recevoir des prestations de chômage à la suite d’un départ volontaire, une personne doit démontrer que son départ constituait « la seule solution raisonnable ». Le coup de grâce fut donné par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney qui, sous les bons conseils d’organismes internationaux comme l’OCDE, décida que toute personne qui quitte son emploi sans démontrer que ce départ était la seule solution raisonnable ne pouvait recevoir de prestations. Non seulement on impose la « peine capitale » (c’est-à-dire : aucune prestation) mais, de surcroît, il n’existe plus aucune gradation dans le type de « sanction » imposé au vilain travailleur qui laisse tomber son employeur !

Le Mouvement Action Chômage de Montréal (le MAC) constate dans le cadre de son action que la grande majorité des personnes qui décident de quitter volontairement un emploi le font pour de bonnes raisons. Malheureusement, une bonne raison n’est souvent pas suffisante pour obtenir le droit aux prestations. Il faut toujours se rappeler qu’on doit démontrer que le départ était la seule solution raisonnable et qu’il n’existait aucune autre alternative.


[1Ministère des Finances, Documents budgétaires, 27 avril 1989, p. 30.

[2Georges Campeau, De l’assurance-chômage à l’assurance-emploi, Boréal, 2001, Tableau 2, p. 227.

[3Idem.

[4The Globe and Mail, 9 avril 1996, traduction du MAC de Montréal.

[5Voir La Presse : « Massé admet candidement que le surplus de l’assurance-emploi sert à diminuer le déficit », 22 février 1997.

[66. La Presse, 27 septembre 1998.

[7Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 68 ; [2008] 3 R.C.S. 511 (11 décembre 2008).

[8Christian Brouillard, « Les 70 ans de la grande marche des chômeurs sur Ottawa », À bâbord !, no. 10, Été 2005. 

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