Éditorial du numéro 101
Contrer l’extrême droite au Canada
Dans un an auront lieu les prochaines élections au Canada. Si l’échéance peut sembler lointaine, le résultat anticipé s’annonce inquiétant. L’avance de Pierre Poilievre et du Parti conservateur dans les sondages est si grande qu’elle pourrait être difficile à surmonter.
Le chef du parti a clairement montré ses couleurs : celle d’une droite radicale décomplexée qui s’inspire clairement, tant par ses politiques que par sa rhétorique ultra simpliste et alarmiste, des autres extrêmes droites dans le monde, notamment celle des États-Unis rassemblée derrière le délirant Donald Trump.
Cette montée de l’extrême droite est déjà une catastrophe. Elle facilite des reculs majeurs sur le plan de la justice sociale, de la protection de l’environnement et des droits des femmes, tout en déshumanisant et violentant des communautés déjà marginalisées (personnes de confession musulmane et personnes LGBTQ2S+, entre autres). Ainsi faut-il se réjouir des récents sursauts contre l’extrême droite dans le processus électoral en France et aux États-Unis.
Alors que le Rassemblement national se dirigeait vers une victoire quasi assurée aux élections législatives en France, les partis de gauche se sont unis en formant le Nouveau Front Populaire, laissant de côté ses nombreuses dissentions et réussissant, avec une rapidité surprenante, à s’organiser efficacement, ce qui lui a permis de devenir la première force politique de l’Assemblée nationale. Aux États-Unis, alors que l’élection de Trump semblait inéluctable tant les difficultés de Joe Biden étaient évidentes, l’arrivée de Kamala Harris et Tim Walz a créé un revirement majeur révélé à la fois par les sondages et par l’enthousiasme que suscite leur candidature.
Le Parti démocrate ne s’est jamais éloigné des élites financières, surtout dans les années néolibérales, avec les gouvernements de Clinton et d’Obama. Dans la dernière année, son appui indéfectible à Israël l’a même amené à se rendre complice d’une campagne génocidaire à Gaza. Sans espérer de miraculeux retournements, il faut toutefois reconnaître que sous l’inspiration de Bernie Sanders et de celles et ceux qui l’ont soutenu, les progressistes au sein du parti se font beaucoup mieux entendre, comme en témoigne la nomination de Tim Walz comme candidat à la vice-présidence.
Certes, les élections ont le plus souvent des résultats limités. Il nous a été démontré à tant d’occasions que l’alternance du pouvoir mène en fait à favoriser la même élite d’affaires qui parvient le plus souvent à obtenir ce qu’elle veut des gouvernements, peu importe leur allégeance. Cette complicité des gouvernements d’orientation libérale contribue à la popularité de discours d’extrême droite.
Les émeutes racistes et islamophobes en Grande-Bretagne de cet été illustrent bien les limites de la voie électorale pour barrer la route à l’extrême droite. Quelques semaines à peine après l’élection du Parti travailliste mené par le mièvre Keir Starmer, des regroupements haineux s’en sont pris violemment à des réfugié·es et des personnes musulmanes. C’est une imposante mobilisation citoyenne antifasciste qui a permis d’y mettre un frein.
Pour combattre le radicalisme de droite en politique, il semble donc clair que les partis de gauche sont les mieux placés pour répliquer, si on prend l’exemple de la France et des États-Unis. Les politiques néolibérales ne sont plus envisageables ; elles ont même pavé la voie à l’extrême droite.
Au Canada, les succès des conservateurs sont moins dus à l’attraction de leurs idées, qui n’ont pas encore été vraiment soumises au débat public, qu’à une réelle lassitude de la population après neuf ans de gouvernement Trudeau. Le discours démagogique de Pierre Poilievre se nourrit pleinement de cette situation et annonce des reculs majeurs dans de nombreux secteurs et pour plusieurs segments de la population.
Malgré les particularités de notre situation politique et les importantes difficultés que nous aurons à surmonter, l’exemple de la résistance à l’extrême droite en contexte électoral, en France, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, mais aussi au Brésil et en Pologne, entre autres, devrait nous inspirer pour éviter le pire. Nous avons encore un an pour nous préparer. Souhaitons que les mouvements de gauche canadiens sauront s’organiser et se mobiliser sur des bases unitaires, combattives, rassembleuses et inspirantes.
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