Réfugiés états-uniens au Canada
La guerre, no sir !
par Benoit Renaud
Cinq soldats états-uniens ayant refusé une affectation en Irak pour des raisons de conscience vivent présentement au Canada où ils ont fait une demande pour l’obtention du statut de réfugié. La cause de l’un d’entre eux, Jeremy Hinzman, a été entendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) en décembre. La décision attendue durant l’hiver 2005, si elle était favorable, serait un signal très clair pour ceux et celles qui rejettent cette guerre puisque le refuge au Canada constituerait une alternative aux tribunaux militaires et à la prison. Dans un contexte où le Pentagone a du mal à recruter des volontaires et doit déployer une vaste proportion de réservistes en Irak, une vague de départs vers le Canada serait un dur coup pour l’entreprise des faucons impérialistes, tant démocrates que républicains, qui dominent la politique états-unienne.
L’enlisement de l’occupation de l’Irak constitue un problème de plus en plus aigu pour le Pentagone. 40 % des troupes d’occupation sont des réservistes et on procède déjà à ce que certains appellent la « conscription par la porte d’en arrière » en prolongeant de plusieurs mois le séjour des troupes. L’intensification de la résistance armée et la faiblesse du gouvernement provisoire et de ses forces de sécurité rendent improbable à court terme une réduction significative du nombre total des troupes d’occupation.
Alors que le nombre de morts et de blessés états-uniens ne cesse de croître – atteignant à la fin de 2004 les 1 300 morts et 10 000 blessés, dont 5000 grièvement –, les cas d’insubordination ne cessent de se multiplier. Le moral des troupes est bas et commence même à affecter l’opinion publique, grâce aux nombreux messages électroniques envoyés par les soldats à leur famille et à la constitution de groupes tels Military Families Speak Out (les familles militaires s’expriment) ou Iraq Veterans Against the War (les vétérans de l’Irak contre la guerre).
Le résultat de cette situation est la perspective de plus en plus réelle d’un retour à la conscription, ce que tant Bush que Kerry ont nié durant la campagne électorale, en dépit des préparatifs en ce sens pris par l’Administration. Dans un contexte de conscription, l’enjeu de l’accueil des objecteurs de conscience deviendrait encore plus important, du fait de l’arrivée probable de milliers de déserteurs au Canada.
Qui sont les objecteurs de conscience ?
Jeremy Hinzman, 25 ans, provient d’un milieu ouvrier du Dakota du Sud. En 2001, peu de temps après son mariage avec Nga Nguyen, il s’enrôle dans l’armée comme parachutiste. En 2002, après avoir commencé à fréquenter un cercle Quaker (groupe chrétien rigoureusement pacifiste), il est envoyé en Afghanistan, où il soumet une demande d’objecteur de conscience. Cette demande lui est refusée parce qu’il affirme être prêt à défendre le camp en cas d’attaque. Il refuse uniquement de participer à des opérations offensives.
De retour aux États-Unis, il se promet de refuser toute assignation en Irak. Un enrôlement dans l’armée américaine étant fait sur la base d’un contrat de durée déterminée qui ne peut pas être brisé en cours de route par le soldat, un refus d’obéir aux ordres signifie la cour martiale et probablement une peine d’emprisonnement. Devenu le père d’une petite fille en janvier 2004, Jeremy soumet une demande pour être accepté comme réfugié au Canada. Son audience devant le tribunal de l’immigration a eu lieu en décembre 2004 et une décision est attendue en février 2005.
Les quatre autres cas pendants d’objecteurs de conscience réfugiés au Canada sont fort semblables à celui de Jeremy. Ils sont jeunes, se sont enrôlés pour payer leurs études ou simplement pour échapper à une vie de McJobs. Ils ont été envoyés au combat dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » et ont refusé de servir de chair à canon et d’exécuteurs des basses œuvres des Bush, Cheney, Rumsfeld et compagnie. Certains étaient déjà en contact avec des groupes pacifistes avant de venir ici. D’autres se sont exilés en solitaire et ont pris contact avec la campagne d’appui par la suite. Tous savent que des milliers de déserteurs, fuyant la conscription durant la guerre du Vietnam, ont été accueillis au Canada dans les années 1960 et 1970. Ils considèrent que la guerre en Irak est criminelle et injustifiée et que c’est leur droit et leur responsabilité morale que de refuser d’y participer.
L’argument le plus souvent invoqué en opposition à leur demande est qu’ils se sont enrôlés volontairement. Cependant, la réalité de la conscription économique aux États-Unis nuance le caractère volontaire de l’enrôlement dans l’armée régulière. Dans un pays où 40 millions de personnes n’ont pas de couverture médicale, où environ 10 millions sont sans emploi et 1,5 million en prison, l’enrôlement apparaît comme une porte de sortie. Si on ajoute à cela le fait que le taux de syndicalisation est inférieur à 10 % dans plusieurs états et que les frais de scolarité atteignent les 10 000 $ par année dans les universités publiques, on comprend l’attrait d’une carrière qui garantit une éducation et des services de santé gratuits, la sécurité d’emploi et un statut social respectable. La grande majorité des personnes qui joignent les forces armées des États-Unis ne le font pas pour des raisons idéologiques, mais pour améliorer leur situation personnelle. Le cas des cinq objecteurs de conscience l’illustre très bien.
La campagne d’appui
Ce sont les liens établis entre le mouvement anti-guerre des États-Unis et celui du Canada, à travers des mobilisations conjointes depuis l’hiver 2003 en particulier, qui ont permis de lancer une campagne d’appui aux objecteurs de conscience basée à Toronto. Cette campagne a déjà obtenu l’appui de nombreuses personnalités et organisations du Québec et du Canada anglais, dont Amir Khadir, l’UFP, Françoise David, le CTC, David Suzuki et bien d’autres. De nombreux Canadiens d’origine américaine ayant immigré durant la guerre du Vietnam y sont impliqués. L’enjeu de l’accueil de ces jeunes ayant refusé de participer à la busherie est significatif pour l’ensemble de la mobilisation contre l’impérialisme et l’occupation illégale de l’Irak.